Vingt

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   Tous les sites Internet intelligents conseillaient de choisir un lieu bondé de monde pour donner rendez-vous à une personne potentiellement dangereuse, et de prévenir un membre de la famille ou un ami de ce qu'on prévoyait de faire. Mais ce samedi, à l'heure du déjeuner, Lauren s'apprêtait à ignorer toutes ces règles. Dans moins de deux heures, Camila Cabello serait devant chez eux. Personne ne savait qu'elle allait venir et personne ne serait là à part elle.

« BI1TO », lui écrit-elle.

Elle avait raison, c'était vraiment pour bientôt.

Lauren jeta le téléphone sur son lit comme s'il était brûlant, puis elle ouvrit la fenêtre de sa chambre à coucher et observa la tempête, les nuages noirs et les trombes de pluie qui s'écrasaient par terre. Elle s'appuya sur ses coudes et contempla le paysage. Un chat se mit à l'abri d'un bond, les plis de la pelouse aspiraient 'eau dans leurs sillons et les arbres soupiraient en chœur.

Elle tenta de réviser, allongée sur son lit avec ses livres de géographie. Elle essaya de s'intéresser aux migrations de la population rurale vers les zones urbanisées, conséquence de la révolution industrielle. Mais le seul fait de penser à ces grands événements lui donnait l'impression d'être petite, et quand elle se sentait petite, ses révisions, son baccalauréat et son avenir en général lui semblaient bien dérisoires, elle n'arrivait plus à les prendre au sérieux. C'était facile de briser des tabous quand on se fichait de tout. Elle attrapa donc son portable et tapa : « JPAT. » C'était vrai, elle pensait à elle. Elle était d'ailleurs, en gros, la seule chose à laquelle elle avait pensé depuis ce lundi au port.

Sa réponse arriva sans tarder : « XOXOXO. » Une série de bisous et de câlins.

Elle avait besoin de manger quelque chose. Les régimes ne comptaient pas en temps de crise.

Assis à la table de la cuisine, ses parents se tenaient la main. Devant eux reposaient des tasses de café et des assiettes vides. Ils levèrent les yeux et sourirent quand elle entra. C'était touchant, comme s'ils étaient à nouveau une famille normale.

« Tu as faim ? demanda sa mère en repoussant sa chaise. Je viens de faire un sandwich au bacon à ton père. Tu veux que je te prépare quelque chose ?

- Non, merci. »

Lauren savait ce qu'elle voulait, l'un des muffins double-chocolat de Chris qui étaient rangés dans la panière et auxquels personne n'avait le droit de toucher hormis son frère.

Elle en prit un, ignorant l'air désapprobateur de sa mère, et s'assit pour en ôter l'emballage.

« Vous avez toujours prévu de sortir ? »

Son père acquiesça d'un air absent.

« Dès que cette pluie ce sera calmée. »

Ils regardèrent tous par la fenêtre. Le jardin se noyait sous l'eau. Point. Fin de la conversation. L'apparition de Lauren dans la cuisine avait illuminé leur humeur pendant une nanoseconde. C'était étrange de constater à quel point il ne restait plus rien à dire ou à faire qui ne fût, de près ou de loin, en relation avec Chris. Leur chagrin les rattrapait si facilement.

Finalement, sa mère but une gorgée de café et reposa sa tasse.

« Je ne peux pas croire que ce soit de nouveau le week-end, dit-elle. Je n'arrête pas de me dire que tout cela va s'arrêter et qu'on va reprendre notre vie normale. »

Son père se passa la main sur le front. Il semblait fatigué.

« Si cette petite pute continue, on peut dire adieu à la normalité. »

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant