trente-cinq

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   La porte d'entrée s'ouvrit avant même que Lauren eût traversé la pelouse et sa mère dévala les marches, les bras grand ouverts.

« Dieu merci ! »

Elle la serra si fort dans ses bras que Lauren pouvait sentir les angles aigus de ses épaules et la courbe de ses côtes à travers sa robe.

« Maman, tu me fais mal.

- J'étais malade d'angoisse. Nous n'avions pas la moindre idée de l'endroit où tu pouvais te trouver. » Elle serra une nouvelle fois Lauren contre elle puis la relâcha, reculant d'un pas pour mieux lui caresser les cheveux, tapoter ses bras et son visage, comme pour vérifier que ce n'était pas qu'une apparition. « Nous étions sur le point d'appeler la police.

- La police ?

- Tu as disparu pendant des heures, nous étions désespérés. »

Lauren aperçut alors son père qui se tenait, l'air sombre, sur le pas de la porte. Il semblait plus âgé que ce matin au petit déjeuner, il était mince et comme usé.

Il dit : « Où étais-tu, bon dieu ?

- Je suis désolée. Je suis allée me promener.

- Pendant tout ce temps ? Sous la pluie, sans manteau ?

- C'était idiot. Je n'ai pas réfléchi

- Pourquoi est-ce que tu as éteint ton téléphone ?

- J'ai fini par aller au cinéma et j'ai oublié de le rallumer quand je suis sortie de la salle. »

Cela sonnait faux et creux, comme les répliques d'une pièce de théâtre. Son père s'adossa au chambranle et la dévisagea. Il détailla tout, de ses baskets crottées jusqu'au tissu froissé de sa robe. Je ne suis plus une petite fille, se dit Lauren tandis que le regard de son père remontait jusqu'à son visage. Est-ce que tu peux le voir ? Est-ce que j'ai l'air différente ?

« Nous avons passé des heures à te chercher. Ta mère était bouleversée.

- Je suis désolée.

- Ton frère est en haut dans sa chambre, convaincu qu'il ira en prison. Est-ce que tu veux m'expliquer cela ? »

Son père parlait d'un ton si calme, c'était terrifiant, Lauren sentit des larmes envahir sa gorge.

« Tu veux bien laisser entrer ta fille avant de commencer l'interrogatoire ? » La mère de Lauren passa un bras autour de ses épaules et la serra fermement contre elle. « Elle tremble, avec ce froid. Pourquoi tu ne vas pas plutôt mettre de l'eau à chauffer, par exemple ? »

Son père eut l'air perdu, comme si sa femme lui avait suggéré quelque chose de tellement inhabituel et particulier que cela n'avait pas de sens. Puis il se reprit.

« Oui, bien sûr.

- Et fais des sandwichs pendant que tu y es. Je suppose que Lauren a faim, n'est-ce pas ? »

C'était merveilleux de voir sa mère s'imposer de la sorte, comme s'il était soudain possible de vivre différemment.

« Est-ce que papa sait tout ? S'enquit-elle auprès de sa mère tout en se laissant guider dans les escaliers. Est-ce qu'il sait que je t'ai parlé ? Est-ce qu'il sait que Sofia dit la vérité ?

- Chut, répondit sa mère. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de cela maintenant. Viens, et écoute ce qu'il a à te dire. »

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant