Dix-huit

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   Lauren ouvrit lentement la porte du Queen's Head et fut immédiatement frappée par l'odeur tiède de nourriture et de bière. Elle se sentait un peu primitive à émerger ainsi du brouillard, comme une sauvageonne pour laquelle les concepts de chaleur et de refuge ne représentaient pas grand-chose. Elle était le genre de fille qui convoquait des filles sur des tombes et les défiait de se jeter dans les rivières. Elle était le genre de fille qui poussait hardiment les portes de l'office du tourisme et se renseignait sur l'emplacement de tous les pubs du port. Le monsieur lui avait même prêté son stylo pour qu'elle puisse les marquer à l'encre rouge sur sa carte.

Si elle était ici, elle se glisserait derrière elle, les mains sur les hanches comme si le monde lui devait quelque chose, et Lauren la fixerait jusqu'à ce qu'elle ressente une attraction irrésistible éteindre son cœur.

Lauren l'obligerait à se retourner par le seul pouvoir de son regard sur son dos.

La femme qui se tenait derrière le comptoir fronça les sourcils en voyant approcher Lauren. Elle portait un badge sur lequel était écrit SUE, GERANTE.

« Si tu veux que je te serve, il va falloir que tu me montres ta carte d'identité, dit-elle.

- C'est bon, je ne veux pas boire. Je cherche quelqu'un qui travaille peut-être ici. Une fille. »

La femme rit.

« Vraiment ? Eh bien, je n'ai que deux employés, Camila et Shawn. Fais ton choix. »

Shawn était le garçon qui se trouvait dans la voiture, l'autre jour. Lauren se surprit en train de sourire.

« C'est Camila que je veux.

- C'est bien ce que je pensais. » La femme désigna la salle du restaurant couverte de moquette, derrière le bar. « Elle est là-bas, au fond. »

Elle se tenait près d'une table. Le groupe de dames âgées qui y était attablé levait la tête vers elle en souriant. Elle semblait solide, sure d'elle, complètement différente de toutes les filles de l'école. Lauren sentit l'adrénaline se répandre dans son corps tandis qu'elle la regardait.

« C'est bien elle ?

- Oui, c'est elle. »

La femme émit un sifflement de désapprobation.

« Il faut croire qu'elle recommence à mélanger le boulot et les amours. Je vais lui dire deux mots, moi, à Miss Cabello.

- Cabello ?

- Oui, ma puce, et si jamais tu es sa nouvelle copine, tu peux attendre sa pause déjeuner qui est dans cinq minutes très exactement. Et puisque tu n'as manifestement pas dix-huit ans, est-ce que tu pourrais t'éloigner du bar, s'il te plaît ? »

Camila Cabello ? Mais alors...

Le fait d'entendre ce nom l'affecta physiquement. Elle se sentit étourdie, nauséeuse.

« Va t'asseoir dans le coin des familles, s'il te plaît. Je vais la prévenir que tu es là. »

Elle suivit en chancelant la direction que la femme lui avait désignée et se laissa tomber sur une chaise. Elle avait envie de courir vers la porte, de s'enfuir, mais si elle allait jusque-là, il lui semblait que quelque chose risquait de se casser. Personne ne la remarqua, les rares clients installés là étaient plongés dans leurs conversations, ou alors ils fixaient l'écran de télévision d'un regard vide. Son monde venait de bouger et personne ne le savait, sauf elle.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant