trente et un

954 49 0
                                    


   Les rideaux étaient gonflés comme les voiles d'un bateau. Les rayons de soleil éclaboussaient la moquette. Chris était allongé sur le lit et écoutait de la musique sur son iPod. Debout sur le palier, Lauren le contemplait. Il ressemblait à un garçon parfaitement ordinaire, dans une chambre parfaitement ordinaire. Pas de cadenas, pas de Scotch de la police, la porte grande ouverte.

C'était Chris Alexander Jauregui, le garçon avec lequel elle grandissait depuis des années. Il ne laisserait sûrement pas quelque chose de terrible se passer ?

Il dut sentir la présence de sa sœur car il se redressa soudain et la regarda droit dans les yeux. Il enleva ses écouteurs.

« Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien.

- Pourquoi tu restes plantée là à me fixer ? Tu veux me faire flipper ?

- Le dîner est prêt, c'est tout. Maman m'a dit de t'appeler. »

Lauren s'agenouilla près du panier du chien et caressa son museau. Elle regarda longuement ses yeux laiteux et dit : « Comment vas-tu, mon joli museau gris ? Comment va mon adorable vieille fifille ?

- Lauren, lança son père. Est-ce que tu nous ferais le plaisir de revenir t'asseoir à table et de laisser ce chien tranquille ? »

Elle se rassit. Sa mère fit passer un plat de côtelettes d'agneau et Chris en saisit deux avec sa fourchette. Leur mère retourna aux fourneaux et remplit des bols de carottes et de petits pois. Chris fit passer les côtelettes à son père. Leur mère déposa les légumes sur la table et Chris se servit. Leur mère ouvrit le four et en sortit une grille couverte de pommes de terre grillées. Elle se servait d'un torchon en guise de manique.

« Est-ce qu'il y a de la sauce à la menthe ? demanda leur père.

- Oui, oui, ça arrive.

- Et du jus de rôti ?

- Oui, ça aussi. »

Papa tambourina du bout des doigts sur la table pour attirer l'attention de Lauren.

« Est-ce que tu vas donner un coup de main à ta mère ou est-ce que tu as l'intention de rester à table sans rien faire ? Je suppose, poursuivit-il, que nous devons en premier lieu partir du principe qu'elle doit être assez atteinte pour inventer une histoire pareille. Elle vient d'un milieu particulièrement défavorisé, mère célibataire qui vit d'allocations, deux enfants, aucune perspective pour aucun d'entre eux. Pas étonnant que cette fille ait été attirée par Chris. »

Chris brandit sa côtelette en signe d'approbation.

« Elle était sacrément impressionnée par notre maison. »

Ses lèvres étaient brillantes de graisse, tout comme ses doigts. Il arrachait la viande de l'os avec ses doigts, comme s'il n'avait pas mangé depuis des jours.

Lauren dit : « Qu'est-ce qu'on te donnait à manger quand tu étais incarcéré ?

- Je n'ai pas envie d'en parler.

- C'était pire que la cantine de l'école ? »

Chris la dévisagea.

« Tu m'as entendu ?

- Tu recevais trois repas par jour ou seulement un ?

- Lauren, je ne suis pas d'humeur.

- Est-ce que tu partageais une cellule ou est-ce que tu étais isolé ? »

Leur père laissa violemment retomber sa fourchette.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant