QUATRE

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   Lauren Jauregui s'assit sur les marches de la terrasse et agita ses bras au soleil, comme des antennes. Un silence étrange s'abattit instantanément sur l'ensemble du jardin. Elle retint sa respiration, craignant de gâcher ce moment de beauté. L'espace d'un instant, ce fut comme si elle contrôlait l'univers. Mais la dame du traiteur la dépassa à ce moment-là, trébuchant sous une pile de boites. Derrière elle, toujours agrippée à son bloc-notes, Mme Jauregui s'exclama : « Dieu merci, cette pluie s'est arrêtée. »

Lauren arracha une feuille du laurier et la cassa en deux. Elle en huma l'odeur et la déchira en petits morceaux tranchants qu'elle éparpilla ensuite sur les marches. Elle en arracha une autre, puis une autre. Dans ses mains, les feuilles vertes se couvraient de taches, s'abîmaient.

Sa mère s'assit à ses côtés et se pencha vers elle.

« Arrête de t'inquiéter, mon amour. Ton frère va bien, il est dans la voiture maintenant, en route vers la maison.

- Et si la police change d'avis ?

- C'est passé par la cour d'assises. On ne peut plus changer d'avis.

- Mais s'ils trouvent de nouveaux éléments ? »

Mme Jauregui secoua la tête, souriant avec confiance.

« Papa a toutes les clés en main. Nous allons nous en sortir, tu verras. »

Lauren aurait aimé la croire mais, quand elle fermait les yeux, ce qu'elle voyait lui semblait parfois insurmontable. Elle revoyait Chris au moment où ils étaient venus le chercher pour l'interroger, pâle et effrayé tandis qu'ils l'emmenaient avec eux. Elle voyait la camionnette garée dans l'allée, arborant l'inscription « Services Scientifique », et puis les agents de la criminalité vêtus de leurs uniformes noirs qui sortaient de la maison avec l'ordinateur de Chris sous le bras, ses draps et sa couette enfermés dans un sac en plastique. Et ces gens, dans la voiture, qui observaient tout depuis l'allée et dont la présence annonçait déjà que l'histoire aurait fait le tour de la ville dès le lendemain matin. Elle revoyait le policier fixer un cadenas et une bande de ruban adhésif à la porte de la chambre de Chris, elle l'entendait encore dire : « Ne jouez pas avec cela, s'il vous plaît, cette chambre est une scène de crime maintenant. » Et papa qui disait : « Il nous reste tout de même certains droits dans notre propre domicile, je suppose ? » Maman était assise sur les marches et pleurait. Les larmes formaient un sillon jusqu'à sa bouche.

Lauren concentra son attention sur son estomac. Il fallait qu'elle se calme. Il lui semblait que quelque chose était resté coincé là-dedans, quelque chose qui cherchait à sortir. Elle parcourut le jardin du regard, les tables vides et les piles de chaises, les boîtes contenant des lanternes qui n'attendaient plus que d'être suspendues, l'échelle adossée contre la clôture. Plus que tout au monde, elle aurait souhaité qu'ils ne soient que tous les quatre ce soir, dans leur ancienne maison, à des kilomètres d'ici, avec des plats à emporter et un DVD.

Maman lui donna un petit coup de coude, comme si elle lisait dans ses pensées.

« Tout va bien se passer, Lauren, crois-moi. On va récupérer notre Chris. Un petit effort, essayons d'être heureux ce soir. »

Lauren hocha la tête sans parvenir à la regarder dans les yeux.

« Maman, je peux te dire quelque chose ? »

Le sourire de sa mère s'évanouit, tout son corps se raidit.

« Tu peux tout me dire, tu le sais bien.

- Sofia Cabello ne va pas passer ses examens. D'ailleurs, elle a quitté l'école. »

Elles restèrent assises là, observant un silence embarrassé pendant une minute. Lauren se mordillait les lèvres. Elles aurait mieux fait de se taire, mais c'était difficile de garder autant d'informations pour elle. Parfois, les plus petites s'échappaient sans crier gare.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant