quarante et un

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    Lauren passa la clôture et remonta la pelouse depuis la rivière. Sa mère était agenouillée sur une couverture pliée et enfonçait une binette dans un parterre de fleurs.

Dis-lui, dis-lui, il faut que tu lui dises.

Elle s'assit sur ses talons en apercevant Lauren.

« Tu rentres tôt. » Elle essuya la sueur de son front avec sa manche. Ses gants étaient pleins de terre et elle avait des bouts de feuilles dans les cheveux. « A moins que je n'aie perdu la notion du temps ? J'ai passé la plus grande partie de la journée ici, c'était merveilleux. On sent venir l'été, tu ne trouves pas ? Regarde toutes ces pousses vertes qui pointent leur nez. »

Lauren feignit d'être intéressée pour faire plaisir à sa mère, pour faire durer ce moment, aussi, c'était tellement difficile de trouver les mots.

« Ce que tu vois là, ce sont des tulipes, continua sa mère, souriante. Et les roses, là, ce sont des Bergenia.

Lauren s'installa dans l'herbe.

« Il faut que je te parle.

- Tu vas te mouiller si tu restes assise là.

- Ce n'est pas grave.

- Comment ça s'est passé à l'école ? Tout va bien ?

- Très bien. On a révisé les maths.

- Mon pauvre bébé. Je n'aimerais pas être à ta place. » Elle retourna à son bêchage. « J'ai remis de l'ordre, j'ai arraché les mauvaises herbes. Regarde, j'ai même planté des bulbes. »

Quand on annonce des mauvaises nouvelles, on est censé demander à la victime de s'asseoir pour qu'elle ne se cogne pas la tête en tombant. On est supposé apporter du thé bien sucré, une couverture et avoir une main fraîche à lui poser sur le front. Mais que fait-on quand la personne refuse d'écouter ?

« Maman, où est Chris ?

- Je crois qu'il est en haut, dans sa chambre.

- Et papa ?

- A Norwich, il essaye de trouver un nouveau cabinet d'avocats. »

Lauren inspira.

« Donc, tu as entendu ce que je disais ? Est-ce que je peux te parler ?

- J'ai entendu. »

Mais elle n'arrêta pas de bêcher. Il était tellement plus facile de se contenter d'écouter le son aigu de la binette qui heurtait la pierre ou de regarder la terre douce et les mauvaises herbes atterrir sagement dans son seau. Il serait facile, aussi, d'entrer dans la maison, de se servir un verre de lait, de manger un biscuit, de regarder la télé.

« Est-ce que nous pouvons aller nous asseoir sur le banc ? »

Sa mère fronça les sourcils et croisa fermement son manteau sur sa poitrine.

« C'est à propos d'hier ?

- Oui.

- Nous ne pouvons pas attendre le retour de papa ?

- Pas vraiment, non. »

Sa mère refusa le banc mais prit place sur la balançoire, derrière le noyer. C'était étrange de la voir, là, comme une petite fille, les pieds repliés sous elle. Lauren s'assit dans l'herbe et la regarda tirer les cordes de la balançoire et se pencher en arrière, ses cheveux volant au vent.

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant