quarante-quatre

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   Lauren prit place sur le canapé à côté de sa mère. Elles étaient restées assises là si longtemps que la pièce s'était progressivement laissé envahir par la pénombre. A l'étage, Chris était en train de faire ses valises. Son père l'aidait. Lauren l'entendait tirer et arracher les morceaux de Scotch dont il se servait pour fermer les cartons, sur le palier.

« Papa ne me le pardonnera jamais », chuchota-t-elle.

Sa mère serra sa main.

« Ton père t'aime.

- Ce n'est pas la même chose.

- Et pourtant, c'est tout ce que nous possédons. Quand on en arrive là, c'est la seule chose à laquelle nous devons nous raccrocher. »

Lauren se raidit en entendant son père descendre les marches de l'escalier. Chaque muscle de son corps se contracta tandis qu'il déposait deux cartons supplémentaires sur les autres, dans l'entrée. C'était comme si Chris était mort et qu'ils débarrassaient sa chambre.

« Est-ce que c'est sa Xbox ? demanda sa mère. Est-ce que Ben n'a pas ce genre de choses ? Il pourrait les prêter à Chris ? »

M. Jauregui alluma la lumière dans l'entrée et se tint dans l'encadrement de la porte tandis qu'elles clignaient des yeux, éblouies. Bien sûr qu'il cesserait bientôt d'être furieux. Bien sûr que sa rage finirait pas s'épuiser.

« Ben est au lycée toute la journée, dit-il. Chris sera donc indépendant de l'hospitalité de ses parents. Tu veux que ton fils se sente mal à l'aise, à devoir toujours demander s'il a le droit de regarder la télévision ou d'emprunter la console pour se changer les idées, pour oublier un instant ce cauchemar ? »

La mère de Lauren ne répondit pas et il secoua la tête comme si son silence prouvait qu'il avait raison. Il traversa le couloir à grands pas, en direction de la salle de bains du rez-de-chaussée. Lauren l'imaginait en train de fouiller dans le placard, à la recherche du kit de rasage de Chris, de son déodorant, de son gel préféré pour les cheveux.

« Je crois que je devrais fermer les rideaux, dit sa mère. Il fait noir, dehors. »

Mais elle ne bougea pas. Son père revint, tenant dans ses mains la trousse de toilette de Chris.

« En quoi est-ce que cette confession a aidé quelqu'un, Lauren ? dit-il. En quoi est-ce qu'elle nous a avancés ?

- C'est la vérité, papa.

- La vérité ? Oh, pour l'amour de dieu ! Je n'ai jamais, je répète, jamais vu ton frère dans un état pareil. C'est ce que tu voulais ? » Il leva un doigt vers le plafond. « Il est assis là-haut, sur son lit, à peine capable d'articuler deux mots, sans parler de faire sa valise.

- Est-ce que tu crois que je devrais lui donner un coup de main ? demanda sa mère.

- C'est à moi que tu poses cette question ?

- Oui, c'est à toi que je la pose.

- Tu es sa mère, bon dieu ! Est-ce que tu ne devrais pas savoir ce genre de choses ?

- Je te demande s'il veut que je monte. S'il a besoin de moi, j'y vais.

- C'est très louable de ta part. » Il baissa le regard sur leurs mains enlacées et cette vue sembla redoubler sa colère. « Tu aurais dû l'en empêcher. Tu aurais dû clouer ses foutus pieds au sol.

- Je ne pouvais pas l'en empêcher.

- Tu ne pouvais pas ? C'est une gamine, non ? Tu ne sais pas contrôler tes propres enfants ? »

toi contre moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant