Une vie, une renaissance

Part II - Chapitre 1 - partie 1

            Deux ans qu'elle n'avait pas vu son frère qui était parti de Toulouse pour s'installer chez ses grands-parents en région parisienne, et qu'avait-elle à lui offrir à part son amitié et sa tendresse ? Un trop plein d'amour qu'elle n'avait pu épancher, sans parler d'une tristesse plus ou moins contenue et qui la poussait parfois dans des élans extrêmes de solitude qui inquiétaient son entourage proche et qui retenaient au loin ses amis. Depuis de décès de Michaël, elle avait pris soin de tenir ses amis le plus loin possible d'elle et s'était liée avec des personnes plus ou moins fréquentables mais qui avaient la qualité de tout ignorer de son passé. Elle était malheureuse car elle se savait de mauvaise compagnie et effrayée parce qu'elle savait que son frère la secourait pour la faire sortir de sa léthargie. Elle ne se sentait pas du tout prête à affronter les lieux qu'elle s'efforçait d'oublier depuis l'accident et encore moins, des visages inconnus, sans parler de la sensation des regards curieux ou encore encourageants posés sur elle. Elle savait qu'elle ne pouvait pas compter sur la discrétion de son frère qui se comporterait de la manière la plus fourbe qu'il lui aurait donné d'être : il ferait les présentations, enfin, s'il y pensait et rien n'était moins sûr, et la laisserait se débrouiller seule. Après tout, aimait-il répéter, elle était une grande fille.

Les lieux qu'elle verrait lui rappelleraient son histoire trop vite terminée. Certes, elle avait passé d'agréables et inoubliables moments dans les bras de celui qui fut désormais son premier amour même s'ils avaient été trop courts. Si courts que, par moment, il lui arrivait de se demander si elle ne les avait pas rêvés. Mais les disputes qui y mettaient souvent un terme assez sèchement eurent tôt fait de lui rappeler qu'en fait de rêves, ce furent des moments tout à fait réels. De plus, elle craignait que son frère ne recommence ses médisances sur Michaël tout en espérant, quand même, qu'il respecterait son amour étouffé dans l'œuf mais surtout la mémoire d'un mort. Il était souvent stupide et toujours maladroit concernant les histoires de cœur de sa sœur mais elle espérait qu'au moins, il ne soit pas irrespectueux. La dernière chose qu'elle aurait voulue soit que ses copains se fassent une fausse idée de Michaël ou d'elle, sans même les connaître. Déjà qu'elle n'avait pas une grande envie de rencontrer les acolytes de son frère alors s'ils devaient, en plus, avoir de fausses idées en tête sur son couple avec le défunt, ce ne serait pas deux mois de vacances qu'elle passerait mais deux mois de calvaire qu'elle endurerait.

Comment réagira-t-elle en revoyant son frère ? Et plus important, comment, lui, réagira-t-il en la revoyant après l'histoire qui s'était passée entre eux deux à propos d'Arnaud, deux ans auparavant. Surtout que la maladresse dont il pouvait faire preuve par moment était vraiment redoutable.

Elle voulait passer ses vacances avec ses chevaux pour seuls compagnons, faire de grandes promenades tout en essayant d'éviter les endroits qu'elle avait fait découvrir à Michaël lors de sa venue combinée par ses grands-parents et ses amis car, malgré tout, l'accident ne lui semblait pas encore assez loin. De plus, que peut réserver l'avenir à une jeune fille de dix-neuf ans qui vient passer des vacances dans son village natal où elle ne connaissait plus personnes, exception faite des commerçants, et où elle voulait surtout ne connaître personne ? Jusqu'à présent, cela n'avait jamais été un problème. Son seul plaisir avait été de s'occuper de ses bêtes et de passer le plus de temps possible avec elles mais même si elle espérait retrouver sa vie d'avant avec ses chevaux, elle sentait qu'il lui serait impossible d'y trouver une entière satisfaction, ni le réconfort qu'ils lui avaient procuré jusqu'à présent et les préoccupations sont loin d'être identiques, qu'on le veuille ou non. Les pires souvenirs ne sont-ils pas les plus brefs ? Leur impact n'est-il pas plus poignant que celui d'un souvenir retracé du début jusqu'à la fin ?

Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu le temps passer. L'atterrissage était en phase finale et l'avion roulait maintenant tout doucement vers la passerelle de débarquement. Elle attendit tranquillement que tous, ou du moins la plupart des passagers de l'arrière de l'appareil, se soient dirigés vers la sortie pour réunir ses petites affaires et s'engager à son tour dans l'allée centrale. Instinctivement, elle suivit la file de passagers et passa devant l'hôtesse en lui souhaitant une bonne journée, sans se rendre compte qu'elle avait ouvert la bouche. Elle emprunta la passerelle tout aussi automatiquement pour se retrouvée bouche-bée devant l'amas de parents qui attendaient les voyageurs derrière la grande baie vitrée. Elle avait oublié à quel point on se sentait "monstre de foire" derrière cette vitre avec en face de soi quantité industrielle de personnes qui montrent du doigt celle qu'ils viennent recueillir tout en souriant. Rechercher celui ou celle qui vient vous réceptionner avec des yeux pleins d'angoisse, comme un animal pris au piège et qui chercherait une âme plus sensible qui voudrait bien la délivrer.

Arrivée dans le hall des arrivées, elle n'avait toujours pas réussi à se remettre de sa surprise. Son frère était là ! Il était venu la chercher à l'aéroport ! Elle le regarda s'approcher d'elle sans pouvoir esquisser un geste tant elle était stupéfaite. Elle avait pensé, et aurait mis sa main à couper, que son grand-père se serait acquitté seul de cette corvée. Pas une seule seconde, l'idée que son frère veuille bien s'occuper d'elle ne lui avait effleuré l'esprit.

Quand Eric regarda vers elle, il fut étonné de constater les ravages qu'avait causés le décès de Michaël. Il savait qu'elle avait très mal réagit, mais de là à ressembler à un zombie, il y a quand même une différence. Ses yeux cernés, son visage marqué voire creusé et le teint blafard qu'elle avait. Il n'acceptait pas que sa petite sœur soit dans cet état. Il regrettait de ne pas avoir été présent pour elle au moment où elle aurait eu le plus besoin de lui. C'est son rôle de grand frère que de protéger sa sœur, et il avait manqué à son devoir. Il respira un grand coup pour évacuer un peu de sa colère, puis il s'élança vers elle en l'appelant. Ne pouvant pas cacher la joie qu'ils avaient de se retrouver après tant de temps de séparation malgré leurs fréquents différents et leurs incessantes disputes, ils se sautèrent dans les bras. Aucun de leurs désaccords n'avait pu construire de réel barrage entre eux et encore moins diminuer l'affection qu'ils se témoignaient mutuellement, mais simplement renforcer le respect qu'ils ressentaient l'un pour l'autre de ne jamais s'effacer au premier éclat de voix.

— Comme t'as changé, dit-il en la serrant plus fort.

— Tu crois ?

— Oui. Tu as beaucoup changé en deux ans et tu es bien plus jolie, dit-il en espérant lui faire teinter les joues.

— Arrête, tu sais que j'ai horreur de ça et en plus je sais pertinemment que ce n'est pas vrai.

— Tu ne sais pas à quel point tu peux te tromper. Mais t'inquiète pas, tu vas vite te rendre compte que c'est loin d'être un mensonge.

Elle était redescendue à terre et regarda derrière son frère, qui se retourna, lorsque des éclaircissements de toux se firent entendre. Prenant sa sœur par les épaules, il fit les présentations à sa façon.

— Philippe Sabine. Comme tu peux le constater, il est grand, les yeux bleus et les cheveux châtain foncés. Mais ce que tu ne peux pas deviner, c'est qu'il est tendre, doux. En plus il ne fera que vingt et un ans en novembre et il est célibataire.

— Eric, s'il te plait contente-toi de faire les présentations et pas un résumé de vie de chacun, merci, répliqua Alicia les yeux assombris par les souvenirs.

— Frank Nièce. Il est célibataire aussi, s'empressa-t-il de rajouter simplement. Voici ma sœur Alicia.

— Eric, s'impatienta-t-elle. Au fait, je préfère qu'on m'appelle Ali, poursuivit-elle timidement pour les deux garçons.