Le lendemain, elle profita du sommeil de ses quatre camarades pour seller son cheval et partir en direction du Mur de Roses. En cours de route, elle s'aperçut qu'elle montait le même cheval, à la même époque, avec le même goût d'amertume dans la bouche, même si les raisons, cette fois, étaient totalement différentes.
Arrivée au Mur de Roses, elle descendit du dos de Peluche et le laissa se promener et se repaître de touffes d'herbe fraîches et humides.
L'orage de la nuit précédente avait été fort mais le Mur de Roses n'avait pratiquement pas été touché. Elle cueilli un bouton de fleur et alla s'asseoir au bord de la rivière tout en sentant l'innocent bouton blanc. Son pantalon se remplissait de boue mais elle ne faisait pas attention à l'humidité qui transperçait son jean : l'odeur de la fleur la ramenait deux ans en arrière. Elle revoyait la scène de réconciliation avec Michaël que ses grands-parents avaient manigancée avec ses amis. Petit à petit, le visage de Michaël se dessina sur le bouton de rose jusqu'à le remplacer sur la tige et Alicia lui adressa une prière. La plus importante qu'elle faisait et ne ferait sans doute jamais de toute sa vie. Elle demanda pardon à Michaël avant de lui demander de lui permettre de recommencer à vivre comme avant. Elle se rendit compte alors que ce qu'elle ressentait pour lui, n'était désormais plus de l'amour, mais une culpabilité obsédante comme si la mère du jeune homme l'avait ensorcelée pour qu'elle souffre jusqu'à la fin de sa vie, de la même façon qu'elle souffrait d'avoir perdu son fils aîné.
A partir de ce moment et sans pour autant oublier Michaël, parce qu'elle savait pertinemment qu'elle ne le pourrait jamais, elle décida de se prendre en main et de commencer une nouvelle vie comme si l'épisode Michaël n'était qu'un rêve. Elle repensa alors à Philippe. Elle reconnaissait avoir été un peu dure avec lui, mais se dit que manque de chance pour lui, il s'était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Elle allait faire de son mieux pour réapprendre à vivre et surtout oublier le passé afin de pouvoir aimer à nouveau et prit la décision, à effet immédiat, de sortir de sa chambre et d'accompagner son frère, afin de reprendre entièrement contact avec le monde des vivants. Elle se leva, déposa un baiser sur la rose puis la lâcha dans la rivière en murmurant : « Je t'ai aimé et je ne t'oublierai jamais. En mémoire de notre amour, je te rends ta liberté. Repose en paix. »
En attrapant les rennes de sa monture, elle se sentit presque soulagée et c'est le cœur étrangement léger qu'elle retourna au chalet. Enfin, elle retrouvait une saveur agréable à la vie sans se demander comment Michaël aurait réagi ou ce qu'il aurait dit en voyant telle ou telle chose. L'odeur des bois imprégnés d'humidité arrivait même à lui chatouiller les narines. Cette odeur agréable qu'elle aimait autant que celle de l'herbe fraîchement tondue tôt le matin durant l'été.
A son arrivée au chalet, les garçons dormaient encore tous. Elle avait récupéré une telle gaieté, qu'elle se mit à préparer un petit déjeuner pour cinq tout en chantonnant. Un à un les garçons se levèrent et sortirent de leur chambre affamés par l'odeur alléchante qui leur venait de la cuisine. Chacun, tour à tour, restait stupéfait au seuil de la porte. Ils se regardèrent, tout en s'interrogeant du regard sans dire un mot, puis ils sourirent. Ils lui souhaitèrent le bonjour tous en chœur, ce qui eut pour effet de la faire sursauter.
— Tu as l'air d'être bien gaie, aujourd'hui, fit Franck. La nuit semble t'avoir porté conseil.
— La nuit, non. Mais la promenade, oui.
— La promenade ? Quelle promenade ? Tu es déjà sortie, ce matin ? s'inquiéta son frère.
— Et, oui, je suis déjà sortie ce matin. C'est l'avantage de se lever tôt.
— Ecoute Eric, si cette promenade a pu être aussi bénéfique pour elle, c'est quand même le principal, non ?
— Merci, Olivier. Enfin un qui me comprenne. Ça fait du bien. Et puis, si je ne me trompe pas, c'est pour cette raison que vous avez organisé cette sortie.
— Espèce de traite, va. Allez à table tout le monde. Qu'au moins ma sœur n'ait pas préparé le petit déj' pour rien.
Ils se mirent à table et savourèrent tranquillement le repas tout en se moquant gentiment de la nouvelle bonne humeur de la cuisinière. A la fin du repas, ils entreprirent de débarrasser et de faire la vaisselle. Après leur toilette, ils rangèrent leurs affaires, sellèrent les chevaux et fixèrent les sacs de couchage. Les garçons montèrent à cheval, fins prêts à partir. Avant de les rejoindre, Alicia fit le tour du cabanon pour s'assurer qu'ils n'avaient rien oublié et que tout était en ordre, puis elle sortit en fermant la porte à clés.
Après ces trois jours de campement, ils rentrèrent en une seule traite. La seule chose qui n'allait pas aux yeux d'Eric était la relation de Philippe et Alicia mais il devait quand même bien reconnaître que ce petit séjour avait eu sur sa sœur l'effet escompté. De son côté, la jeune fille ne regrettait pas d'avoir repoussé Philippe. Jamais ça n'aurait pu marcher entre eux. Comme elle l'avait clairement expliqué à Philippe, rien n'était naturel et il y avait trop d'intermédiaire à son goût. Si seulement Eric n'avait pas fourré son nez dans ce qui ne le regardait pas, elle se serait sûrement laisser tenter. Il était clair que Philippe était beau garçon et qu'il avait beaucoup d'atouts de son côté. Elle pensa alors qu'il pouvait servir de modèle à un grand nombre de garçons de sa connaissance et que malheureusement, ceux-ci se sentaient bien trop supérieurs à ce type de garçons romantiques et plein de délicatesse qu'ils prenaient pour de sombres crétins faibles et sans caractère. Eric coupa ses pensées en proposant :
— Ça vous dit de retrouver les autres demain ?
— Super ! Je vais enfin les connaître.
Décidément, si elle continuait comme ça, elle ne finirait plus de les étonner.
— Pourquoi pas, fit Olivier.
— D'accord. Alors demain on se retrouve devant l'église, proposa Eric.
— Pas de problème pour moi, répondit Franck.
— Je resterai à la maison, je ne me sens pas très bien, répliqua Philippe. Trois jours de camping éloignés de tout me demandent un certain repos.
Tout le monde connaissait le malaise de Philippe mais Alicia, qui s'en sentait responsable, avait pris sa décision et ne comptait pas revenir dessus. Elle était restée trop longtemps enfermée dans sa chambre, autant chez ses grands-parents que chez ses parents et elle estimait que la punition avait été largement suffisante. Elle regrettait d'être la cause du refus de Philippe mais elle avait décidé de s'en sortir et dorénavant, rien ne l'en empêcherait. Même pas les coups montés de son frère et de ses acolytes.
Le lendemain, à une heure et demie, Eric et Alicia partirent en mobylette retrouver le reste de la troupe sur le parking de l'église. Alicia s'étonna de voir si peu de monde, surtout après ce que lui avaient dit les garçons au sujet de la bande en question, et en vint à se demander s'ils n'avaient pas un peu exagéré. Quelques instants plus tard, elle eut la surprise de constater que quel que soit leur âge ou leur moyen de transport, les gens arrivaient petit à petit. Vélos, mobylettes, voitures, rollers ou simplement à pieds. De quinze à trente ans. Alicia se rendit vite compte qu'ils étaient aussi différents que certains pouvaient être complémentaires. Et malgré les apparences, ce sont ceux qui semblaient avoir le moins d'atomes crochus qui étaient les plus complices. Prise dans ses réflexions, elle ne s'aperçu même pas que la petite place était désormais comble.
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Une vie, une renaissance
Novela JuvenilToute jeune fille, Alicia vit sa toute première histoire d'amour avec Michaël. Entre études et quotidien, il ne leur est pas toujours facile de trouver du temps pour eux. Heureusement, Céline et David, eux aussi en couple, ainsi que Christophe, part...