Quand sa valise arriva, ils la mirent sur le chariot et rejoignirent Philippe et Eric qui les attendaient à la voiture, une cigarette à la bouche. A peine arrivée, Alicia en prit une à son frère pendant que Frank, qui en avait aussi allumé une, mettait la valise dans le coffre. Le trajet du retour se fit dans le silence le plus complet. Le paysage qui se déroulait sous ses yeux rendait Alicia mal à l'aise et plus l'arrivée à la ferme était proche, et plus elle s'agitait. Elle appréhendait son retour dans cette maison qu'elle aimait tant mais dont elle redoutait les souvenirs que chacune des pièces ne manquerait pas de rappeler à son bon souvenir.
Après avoir passé un long moment à discuter avec ses grands-parents, elle partit voir ses chevaux. Elle sella son préféré et partit faire une promenade en ville. Tous les habitants qu'elle croisait, à quelques exceptions près, étaient des personnes qui la connaissaient depuis sa plus tendre enfance et qui ressentaient envers la jeune fille une affection et une tendresse pure et simple et tous étaient heureux de la revoir parmi eux et, fidèlement à ses habitudes de toujours, à dos de cheval. C'était leur façon à eux de savoir qu'Alicia était en ville : entendre les sabots d'un cheval marteler l'asphalte du village. Même s'il y avait beaucoup de fermes dans les alentours, elle était la seule à se déplacer de cette façon.
A son retour chez ses grands-parents, elle dîna légèrement puis alla se coucher tôt à la grande surprise de sa grand-mère, qui se rappelait avoir beaucoup bataillé durant l'enfance de la jeune fille pour l'envoyer au lit à une heure raisonnable. Malgré sa fatigue, elle eut toutes les peines du monde à trouver le sommeil. L'après-midi s'était déroulée tout à fait agréablement mais certains souvenirs étaient encore trop douloureux et malgré l'amour qu'elle portait aux promenades en forêt, elle n'avait pas réussi à passer la lisière.
A son lever le lendemain matin, elle s'habilla péniblement sans quitter la fenêtre des yeux tout en essayant de faire le moins de bruit possible afin de ne pas réveiller le reste de la famille. Elle descendit à la cuisine afin de se préparer un petit déjeuné. Plus elle ouvrait les placards et plus les produits qu'elle voyait lui ouvrait l'appétit. Apparemment l'air de la campagne avait toujours le même effet sur elle, quelles que soient les circonstances. Après avoir avalé son premier repas de la journée, elle se dirigea vers l'écurie et ses yeux tombèrent sur les photographies qui tapissaient le mur. Elle les regarda attentivement une à une et les souvenirs affluèrent à son cerveau en un dixième de seconde. La plupart remontaient d'avant son histoire avec Michaël et lui arracha un petit sourire nostalgique. Elle revécut ce froid dimanche de janvier où toute la famille s'était unie financièrement pour lui offrir ce joli poulain à la robe beige. Ça avait été dur pour tout le monde, mais la joie et l'étonnement de la fillette, alors âgée de douze ans, face à son rêve de toujours qui venait d'être réalisé, n'avait aucun prix. Toutes les photos que son grand-père avait pris d'elle avec son compagnon à quatre pattes, lui donnant des pommes, du sucre, des baisers, des caresses et toute l'affection que chaque enfant de son âge aurait donnée à son chien, elle le réservait à son cheval. Au fil des années, la famille du petit équidé s'agrandissait. On avait rapporté d'autres chevaux récupérés après un décès ou sauvés in extremis d'un sort bien peu enviable.
Chaque fois, monsieur Darrieux prenait des photos des animaux avant et après l'adoption. Jamais il n'avait oublié son appareil photo et avait permis à sa petite fille de vivre chaque moment de ces adoptions. Même la distance n'y faisait rien. En effet, à l'appui des photos qu'il lui envoyait et qu'elle ramenait chaque année venait s'ajouter un long courrier détaillé dans lequel il lui décrivait chaque instant et chaque sentiment perçu pour l'animal.
Elle poussa un petit soupir et replaça la photo à la place. Malgré tous les fabuleux souvenirs que lui rappelaient ces images, elle n'éprouvait jamais cette sensation qui la prenait au plus profond de son ventre chaque première fois de l'année qu'elle remontait à cheval. Première promenade qui se déroulait toujours sur le dos de Peluche. Après tout, c'était le premier qu'elle avait eu et elle voulait toujours lui faire cet honneur, même s'il ne s'en rendait pas compte, c'était important pour elle. Et encore plus maintenant qu'avant, elle se rendait compte que lui non plus n'était pas éternel. Elle le sella et alla se promener dans les bois avoisinants, ceux où elle n'avait pas eu le temps d'amener ses amis en exploration. Elle savait bien que quiconque la croisait la prenait pour une folle en l'entendant confier ses soucis, ses peines, ses secrets et ses joies à un cheval. Mais c'était le seul être vivant qui semblait la comprendre et éprouver la joie ou la peine du moment de la seule façon qu'elle le demandait : sans hypocrisie. Voilà, la plus grande raison de son indifférence pour le sexe féminin de la race humaine. Toutes les filles qu'elle avait connues étaient dirigées par ce seul mot. Après tout, il est vrai que les animaux ne peuvent pas réellement répondre, mais ils savent toujours montrer qu'ils ressentent les sentiments de leur maître et qu'ils les partagent. Et pour la jeune fille, un geste est plus important et plus vrai que n'importe quel mot.

VOUS LISEZ
Une vie, une renaissance
Teen FictionToute jeune fille, Alicia vit sa toute première histoire d'amour avec Michaël. Entre études et quotidien, il ne leur est pas toujours facile de trouver du temps pour eux. Heureusement, Céline et David, eux aussi en couple, ainsi que Christophe, part...