Ce que femme veut - part 3 - Régis

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Je ne sais pas réellement ce qui me gêne dans mon couple. Le peu de communication, le manque d'effusion ou cette impression tenace de ne pas être à la hauteur. Yanis pointe souvent du doigt mes défauts, mes inaptitudes. Il rentre le soir et il me dit :
- La femme de mon collègue Théo, elle se fait 35K par an, elle vend pas des parfums à des godiches, elle taffe dans les ressources humaines, c'est un vrai job ça, assistante en ressources humaines ...
Puis il sourit, pour que sa comparaison ne soit pas trop violente. Des fois je ris avec lui parce que j'aimerais aussi avoir un meilleur salaire, d'autres, je me renfrogne, je boude, comme une enfant à qui on souligne son manque d'espièglerie. Il est maladroit, il l'a toujours été mais depuis qu'on vit ensemble, je le vois souvent, en grand et ça me blesse. Pour le piquer moi aussi j'évoque des collègues ou les maris de mes collègues mais il s'en fiche, il est fonctionnaire, sportif, très satisfait de lui-même.
Son portable, toujours vissé à la main il ne semble pas ébranlé par mes remarques et mes interrogations.
- Tu crois que tu vas mourir avec ton phone à la main ?
Il hausse les épaules. Il s'en tape.
Ce soir on est invités chez son pote Soufiène, mon mari conduit, je jette des coups d'œil discrets à son portable qui vibre toutes les cinq minutes ; une notification facebook, un message sur Insta, un texto, il est très demandé. On stationne quelques minutes sur le périph, il pleut des cordes et ça n'avance pas. L'embouteillage est dû aux gilets jaunes qui bloquent l'accès. Yanis s'impatiente. Il méprise ces gagne-petits qui empêchent les autres de faire leur vie. Je ne relève pas. Mes 1500 euros par mois et moi ne voulons pas polémiquer.
- Vas-y là, ça fait chier ! On va être en retard !
Il crie un peu plus fort en tapant sur son volant. Le concert des klaxons couvre ma voix.
- T'as dit quoi ? Il fait en se penchant vers moi.
- Je disais, ça sert à rien de s'énerver.
Il hausse les épaules, comme d'hab il s'en fout.
On patiente une dizaine de minutes quand une manifestante trempée jusqu'aux cils lui fait signe de baisser la vitre.
- Bonsoir Monsieur, comme vous pouvez le constater la circulation est perturbée, vous pourrez repartir d'ici une demi-heure.
- Une demi-heure ? Vous rigolez s'insurge Yanis. Je vais pas attendre une demi-heure, bougez de là avant que ...
La quinquagénaire trempée comprend ce que veut dire mon mari. Je tente de le raisonner en lui rappelant qu'on est un peu basanés et que menacer des gens même en tort est un luxe qu'on ne peut pas se permettre, mais il enfile son bonnet et descend de la voiture, il veut parler à un homme, sans doute pour mieux l'insulter.
Le réflexe est immédiat, je m'empare de son portable. C'est peut-être le seul moment où mes doigts et cet écran pourront faire connaissance. Je compose à la hâte le code que je l'imagine faire si souvent. Le troisième est le bon. Je regarde les messages, il y en a de Soufiène, de ses autres potes, de ses cousines, de sa mère qui fait des fautes d'orthographe plus grosses que ses tagines. Je souris puis je continue, je vois un nom REGIS, je connais pas de Régis. Il écrit : «  Tu me manques. » Je ne souris plus. Je jette un regard fébrile au pare-brise, je dois me dépêcher. Yanis peut revenir à tout moment. Régis dit des choses comme : «  Ta peau est si douce. » ou «  Je veux te voir tout de suite. » Je buggue. Pendant un instant je me demande si j'ai épousé un homosexuel. Je ne comprends plus. Puis mon instinct féminin prend le dessus, Régis n'existe pas, c'est un nom de femme qu'il a caché derrière ce prénom de roi. Il me trompe. Je le sentais. Je redépose l'iPhone. Je tremble mais je ne pleure pas. Je le sentais. Quand on sent les choses, on est déjà un peu préparés. Lorsqu'il regagne la voiture, j'ai le cerveau en ébullition. Il est toujours énervé et trempé.
- Ils me rendent fous ces cas sociaux !
Il parle fort, il gesticule, je ne l'écoute pas vraiment. Je pense à Régis, je me demande comment elle s'appelle en réalité. Je me demande d'où elle sort, cette pute. Forcément c'en est une. Elle couche avec un homme marié, c'est forcément une pute.
Je cogite mais je sais que ce n'est pas le bon moment pour parler, pour en parler. Il faut que j'attende, il faut que je sache quoi dire, il faut que ma colère soit légitime.
Devant ses amis je ne laisserai rien transparaître. C'est le lot des femmes, de tout accepter, m'a toujours dit maman.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant