Ce que femme veut - part 17- NOUS TOUTES !

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Je n'ai jamais vraiment été proche de mes frères. Enfin si, très jeune, vers l'âge de 8, 10 ans mais on a un grand écart d'âge qui nous a toujours tenu à distance ou une espèce de pudeur inutile. Depuis qu'on est devenus adultes et après mon mariage, nos liens se sont encore plus distendus. J'avais des nouvelles d'eux grâce à mes belles-sœurs. C'est bizarre comme relation quand on y pense. Je sais que mes frères seraient prêts à faire des trucs dangereux pour me protéger mais on reste tout de même très distants tous les trois. Impossible de leur parler de ce qui s'est passé avec Yanis, impossible de leur avouer que je ne veux plus me marier, impossible de m'ouvrir réellement à eux. Un mur de malaise nous sépare et parfois je me sens fille unique. Nos parents y sont pour beaucoup dans cette froideur, ils nous ont éduqués différemment. J'ai eu une éducation tournée vers le mariage et le bon entretien d'un nid d'amour et eux, ont pu faire ce qu'ils voulaient, comme se rater, fréquenter différentes femmes, voyager. Je ne leur en veux pas. Mes parents viennent d'un autre monde et m'ont eu tard mais à l'aube de mes 26 ans, j'essaie de faire un bilan.
Tout m'y pousse ; l'année qui se termine, Karima qui se balade à Londres et n'est plus disponible pour mes pleurnicheries.
J'ai même eu le courage d'accepter une invitation à dîner d'Erdem, tant mon niveau social est proche du néant. Depuis Naples, on se parle de temps en temps par texto et j'ai été honnête avec lui, je ne veux rien. Il a accepté à contre-coeur en soulignant que je ne le connaissais pas assez bien pour le mettre de côté aussi vite mais je ressens tout dans le cœur, il ne conviendra pas et je ne parle même pas de ma famille. Il faut être clair, Kader remplissait plus les critères qu'Erdem. Chez moi, les Turcs ça ne passera jamais. Mes parents en sont encore aux origines non-admises. Un Noir c'est mort, un Turc c'est mort, un Blanc c'est mort et Un Asiate c'est mort. Ça réduit le spectre des possibles. Encore une fois, je ne vais pas leur jeter la pierre, ils ont 70 ans. Puis Erdem veut s'amuser. Attablés dans un restaurant portugais de Montrouge, on a parlé de Karima.
« C'est une bonne vivante, j'aime ce trait de caractère chez elle, il a fait en goûtant une banane plantain.
- Oui, j'aime bien aussi.
- C'est rare les meufs qu'ont son parcours, ses parents, qui deviennent si libres.
- Comment ça ?
- Ben elle m'a parlé de votre jeunesse à Bourges, des interdits etc..., il a fait en me dévisageant.
- Non mais elle raconte à tout le monde, qu'elle a fait sa révolution, j'ai soupiré exaspérée, mais dans les faits, ses parents sont cool, oui elle a du faire des trucs en douce et un peu s'émanciper , comme tout le monde, mais c'était pas Alcatraz non plus, faut se détendre. On était pas des meufs séquestrées. Enfin, pas elle en tout cas.
J'ai assuré en buvant une gorgée d'eau. Erdem m'a affirmé qu'il avait eu une autre version mais que le plus important c'était de choisir la vie qu'on voulait mener, au-delà des origines, des volontés familiales, au-delà des choix religieux.
- Tu aimes ta vie, il m'a interrogé en déposant sa fourchette près de son assiette.
- Oui. C'est un peu le bordel à cause de mon divorce précoce mais oui, je suis satisfaite d'avoir un job, un appart, des amis...
- Je te demande ça parce que tu vois, moi j'en aime que quelques aspects. Rien ne me prédestinait à devenir journaliste et à voyager autant, mes parents voulaient que je sois ingénieur, que je me marie à 25 ans et que j'en sois à mon deuxième gosse. Ça a causé beaucoup de tensions entre nous et même à l'heure actuelle, c'est très tendu.
- Tu ne les vois pas ? J'ai demandé effrayée.
- Pas trop. Je vois souvent ma petite sœur, c'est ma confidente, j'ai ma mère au téléphone de temps en temps mais mon père ... Il est dur. Très dur. Un Turc dans toute sa splendeur.
- ...
- Ce que nos parents comprennent pas c'est qu'ils ont eu leur vie, fait ou subis leurs choix mais que nous on est parfois nés en France, on a vécu avec des gens différents et qu'on est Français. J'aime la Turquie, j'y vais tous les ans, mais c'est pas pour autant que je veux vivre à la Turque à Paname. Je suis le seul garçon de ma famille, on a beaucoup misé sur moi, mais j'ai fait le choix d'être à part.
- Et tu ne regrettes pas ce choix ? Avoir la bénédiction des parents, c'est important.
- Être heureux, c'est important aussi, il a dit en me jetant un regard troublé. J'en ai plein des potes et des cousins mariés avec la personne que leurs parents ont choisi ou validé et je peux te dire que des mecs malheureux ou infidèles pour cette raison, il y en a foison.
- ...
- Moi je veux m'amuser, rencontrer des femmes, choisir, je ne veux pas me restreindre à un type, une origine, c'est n'importe quoi quand on y pense. Personne ne tombe amoureux d'une origine. C'est impossible.
- T'as fait un sujet là-dessus ? Je me suis moquée.
- Je pourrais ! J'en connais un rayon en matière d'amour impossible ... »

On est rentrés vers minuit. Il a rejoint son appart et moi le mien. Il est d'une compagnie exquise, je ne peux pas le nier mais son discours ressemble tellement à celui de Karima ...
Ils agissent comme des gens qui ne supportent pas les contraintes. On vient tous de quelque part, on a tous des attaches et même si nos parents sont arriérés, ça reste nos parents ... Je ne sais pas si je suis trop docile ou eux trop rebelles ...
Néanmoins, j'aime bien lui parler, me confronter à ses idées si différentes des miennes. Après avoir passé du temps avec lui, je me sens plus intelligente et c'est quelque chose que je n'ai jamais ressenti dans ma vie. Débattre avec un mec, je ne l'avais jamais autant fait que depuis que je le connais. Ce matin, il m'a proposé de déjeuner avec lui, j'ai accepté, encore une fois. Je n'ai pas grand chose d'autre à faire ... Maintenant que tout est clair entre nous, je ne m'en cache plus, c'est un bon pote.
Après avoir englouti nos tartares au saumon, il a sorti son appareil photo.
« Je vais bosser.
- Ah oui, un samedi ?
- Oui il y a la manif organisée contre les violences faites aux femmes à Opéra. Tu veux venir ?
J'ai éclaté de rire en soulignant que je ne subissais aucune violence.
- Justement. Marche pour les autres.
- ...
- Allez, il y aura des collègues de Libé, je pourrais te présenter. Ma petite sœur, me rejoindra à Nation, elle veut voir Amel Bent chanter ...
- Non, je n'ai jamais manifesté de ma vie, je sais même pas si c'est hallal, ça.
Il a roulé des yeux.
- Soutenir des opprimées, je pense que oui.
Il a insisté, comme face à Kader, j'ai cédé.
Ça allait être ma première ma manif, j'étais toute excitée intérieurement.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant