Karima a rencontré quelqu'un.
Elle ne me l'a pas clairement dit mais elle m'a demandé si ça me dérangeait - vraiment beaucoup - qu'on décale notre dîner car un « ami » doit passer la voir. C'est terrible, pour moi. Mon seul élément de vie sociale fait du rodéo pendant que j'épluche des bananes pour les foutre dans un mixeur en regardant « Touche pas à mon poste ». Des smoothies, c'est tout ce qu'il me reste pour passer le temps.
Il fait chaud dans mon appart et j'ai préféré acheter un mixeur plutôt qu'un ventilo. Je n'avais pas vu venir les 35 degrés, ni même cette facture pour réparer mon frigo, défectueux. Je suis à découvert mais je ne me blâme pas, je débute dans la vie en solitaire.Pour ne pas rester seule justement j'ai accepté l'invitation de Claire, une collègue qui m'aime bien sans que je ne comprenne pour quoi. Moi, je la trouve juste gentille, mais elle, elle m'adore. Quand je lui ai dit que j'étais libre pour ce verre, elle a crié de joie au téléphone.
Elle est un peu étrange mais rigolote et c'est ce qui fait son charme. Yanis qui l'avait rencontré une fois l'année dernière, l'aimait bien. Il a toujours tenu à donner son avis sur mes fréquentations. Comme s'il pouvait gérer mes interactions. C'est moi qui aurais dû interférer dans les siennes. Je n'aurais peut-être pas été cocue.
Bref, je rejoins Claire dans un bar situé pas loin de chez moi. C'est pratique d'habiter près de République, il y a de la vie. Comme d'habitude ma collègue a relevé ses cheveux en chignon. Depuis que je la connais je ne l'ai pas vu les cheveux détachés. Un peu trapue, Claire cache ses rondeurs sous une robe ample qui ne met pas en valeur sa petite taille. Ses grands yeux verts s'illuminent lorsqu'elle me voit arriver.
- J'ai commandé deux Virgin Mojito, elle lance avec fierté.
- Super merci.
On échange des banalités sur le temps, Séphora et ce que l'on compte faire du week-end quand elle me demande si ça va.
- Oui ça va, je fais interloquée par sa question.
- Si je te demande ça c'est parce qu'au magasin, les filles pensent que tu as quitté ton mari. Elles disent toutes que tu ne portes plus ton alliance et que t'as l'air triste.
Claire jette un œil à ma main gauche, je la cache aussitôt. J'ai un mal fou à révéler aux gens que je suis en instance de divorce. Pour moi c'est un échec, comme de rater un diplôme. On foire son mariage comme on foire un examen. Elle poursuit. Ce qui se dit entre deux rayons c'est que j'ai dû quitter Yanis parce qu'il était infidèle.
- Pourquoi tu dis ça ?
- C'est pas moi qui le dis. C'est les filles, elles trouvent qu'il était un peu trop en mode « chien de la casse » quand il venait te chercher. Mais si ce n'est pas le cas, tant mieux. Vraiment.
Je ne réponds pas, je n'ai pas assez de salive pour ça. Tout le monde savait que Yanis était un queutard mais personne n'a jugé bon de m'avertir. Enfin, à part Karima. Je me sens vraiment souillée par ce con, si ça se trouve il aurait pu soulever l'une de mes collègues sous mes yeux et je n'aurais toujours rien vu ...
- Enfin, c'est ton intimité mais si tu veux parler je suis là.
Je ravale une larme. Je ne suis pas sortie de mon petit appart étouffant pour parler de ma naïveté et de mon ex. Je suis là pour me désaltérer et qu'elle me parle d'elle.
- Et toi les amours t'en es où ? je demande un peu violemment.
- Oh tu sais ...
- Quoi ?
- Ben pour que je sorte avec un mec, il faudrait déjà que je m'accepte comme je suis.
- ...
- J'étais mince avant. J'ai pris tellement de poids depuis quelques années ... Et j'ai un scoop pour toi, c'est très dur de perdre !
- Je comprends mais ça n'empêche pas de rencontrer quelqu'un. En plus t'es pas grosse.
- Si je suis grosse, affirme Claire en sirotant son Virgin Mojito, mais je ne suis pas prête de toute façon. C'est bien le célibat parfois.
- C'est pas moi qui vais dire le contraire.
- Je suis très difficile. Je n'aime que les grands bruns et je me fais toujours draguer par des petits pas très beaux ...
Claire est intarissable. Elle m'explique par le menu tout ce qu'elle recherche chez un homme comme si j'allais lui en sortir un de mon sac. Je ne l'écoute que d'une oreille, lorsqu'elle éructe :
- Lui, c'est vraiment ma came par exemple.
Alors que le mec passe juste à côté. Gênée je lui demande de parler moins fort.
- Inès ?
Erdem ne pouvait qu'être là, inéluctablement. Il est surpris de me croiser ici.
- Karima t'a traîné ici ?
- Non pas du tout, je dis sèchement, je bois un verre avec une collègue. Claire-Erdem, Erdem-Claire.
Claire bave un peu en lâchant un « Enchantée ».
Erdem lui serre la main puis se tourne à nouveau vers moi. Il buvait aussi un verre avec des collègues. Il s'en allait.
- Ok bonne soirée, je dis pour clôturer la conversation.
- Je vous dérange ?
Il pose la question à Claire.
- Non, pas du tout. Restez, enfin, reste. Moi c'est Claire.
- Oui je le sais ...
- Ah pardon. C'est ... la chaleur, elle dit en se ventilant.
Erdem ne se fait pas prier. Il pose ses fesses plates sur une chaise près de moi et commande des nachos. Il se présente auprès de Claire, il se dit journaliste et dingue de make-up. Claire rit aux éclats, comme une dinde.
Il me jette des petits regards en posant ses questions.
Je cache mon malaise derrière un sourire de façade.
Son audace me fait sourire.
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Ce que femme veut
Ficção GeralInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...