Ce que femme veut - Part 13 - Amour de lycée

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Mon futur ex-mari m'a subtilement proposé de devenir son second bureau. 

Incroyable.

On a discuté au téléphone le week-end dernier. On parlait du divorce quand il s'est mis à dériver. Ça n'a pas de sens, il répétait :
- Inès, je suis pas un connard, écoute-moi...
Dès le « je ne suis pas un connard » j'aurais dû raccrocher mais comme ma naïveté est sans limite, je l'ai laissé argumenter.
- On pourrait continuer à être ensemble ... Faut juste que tu apprennes le partage. Je tiens à vous deux et je vais être papa. Je ne peux pas laisser mon gosse vivre sans père. Il a besoin de moi. Et je sais que pour toi c'est dur de vivre seule. J'en suis sûr, je te connais. T'as pas été éduquée dans ce sens-là. Tout le monde y gagnerait. Réfléchis-y avant le 31 juillet.

Cette date, c'est celle de notre divorce, officiel. " Apprendre le partage" je n'en croyais pas mes oreilles pourtant je l'ai laissé déblatérer ces conneries. Si Karima l'avait entendu elle lui aurait sûrement fixé un rendez-vous pour un tête à tête. Quel manque de respect ...
Je ne sais pas comment j'ai pu épouser un tel con. Il est si irrespectueux et égoïste que j'ai presque honte d'avoir aimé cet homme. Le pire c'est que j'ai considéré sa sale proposition puis je me suis ressaisie. Néanmoins je suis faible et si je ne veux pas de co-épouse, je crois que l'entendre me proposer ce « ménage à trois » m'a réellement brisé. Depuis toutes ces semaines, je tenais le coup, comme un robot je continuais à travailler, je donnais le change, mais à quelques jours du prononcé de mon divorce, me rendre compte que j'ai vécu et aimé un imposteur, ça me fume. J'ai été chez le médecin pour prendre un arrêt d'une semaine et demi. Je n'ai plus la force de travailler. J'ai qu'une envie c'est dormir. Personne dans mon entourage ne sait que j'ai replongé dans la déprime. Mes parents, Karima et mes belles-sœurs pensent tous que je tiens le coup. La rubrique nécrologique leur prouvera peut-être le contraire.
Cette chaleur étouffante, cet appart minuscule et ma fierté brisée, ça fait trop d'éléments à gérer. J'ai investi le canapé, en nuisette je végète devant des émissions dont je ne comprends pas le sens. Je les regarde mais je ne les vois pas. Je pleure parfois, plus de regret que de peine. Avant mon connard de trou du cul de mari, j'avais fréquenté un mec, « un mec bien » comme on dit quand on a 17 ans, des shtars et des rêves plein le 95B. Il s'appelait Boubacar. Comme son nom l'indique c'était un renoi. On était dans le même lycée et il n'habitait pas très loin de chez moi, non plus. On se voyait presque partout. Un soir d'été on s'était rendus à un festival avec d'autres potes du lycée et il m'avait tirée par le bras et prise à part. Là il m'avait dit :
- Bon Inès, c'est comment ?
- Comment ça ?
- On va tourner autour du pot encore longtemps ?
- De quoi tu parles ?
- De toi et moi ...
C'est vrai que notre relation d'amitié était ambigüe. Parfois il me prenait dans ses bras, parfois je passais une main sur son cou, on s'appelait le soir, on allait au parc avec Karima le dimanche après-midi. C'était mon pote à la compote mais pas que ...
- Vas-y, arrête Boubacar !
- Crois pas que ça va durer éternellement cette histoire, faut que tu te positionnes. L'année prochaine c'est le bac, après juillet, je taille à Paname.
- Raison de plus, si tu pars ça sert à rien de commencer quoi que ce soit... J'avais dit en rougissant.
Mais tourneboulée par sa « déclaration amoureuse cachée » j'avais fini par le tirer à l'extérieur du groupe à mon tour, une trentaine de minutes plus tard et on s'était embrassés. C'était mon premier baiser. Le premier de toute ma vie. Seulement je ne l'ai pas assumé. D'une parce qu'il avait eu lieu sur un festival, ça faisait un peu meuf débauchée et de deux c'était avec ... Boubacar. 2 ans d'amitié qui se soldaient par une relation qui promettait d'être très compliquée. Je le savais, à part ma meilleure amie, personne de mon entourage n'aurait validé cette relation et Boubacar n'était pas le genre de mecs avec lequel on passe un simple été, il avait tout du mec qu'on finit par épouser. Il était beau garçon, gentil, croyant et bon élève. Il correspondait au mec idéal. Enfin, pas pour mes parents, qui dès mes menstruations avaient établi quel type d'homme je devais épouser. Ils ne m'ont pas fait de bourrage de crâne mais subtilement ils ont fait passer le message : Pas de chocolat, pas de nem, pas de cheese nan et pas de cachet d'aspirine. J'aimais ça le chocolat mais j'aimais aussi le beurre. J'ai toujours aimé ce qui fait grossir. Alors quelques jours après ce baiser, prise de panique, j'ai jeté Boubacar. Il insistait beaucoup pour qu'on se voie, qu'on sorte, pour qu'on vive notre histoire alors je lui ai dit ma vérité :
- Ça ne va pas le faire. Dans ma famille ça ne passera pas.
- Mais ils ne sont pas obligés de savoir qu'on sort ensemble.
- Bouba, j'ai que des frères ... pas besoin que je leur fasse un email, ils finiront par le savoir.
- Et ?
- Et ? Non. On n'est pas dans Roméo et Juliette. C'est mieux de rester amis et en vie chacun de notre côté.
- Donc t'abandonnes avant de commencer ?
- C'est pas de l'abandon, c'est un choix sage, pour nous deux.
Je me souviendrais toujours du regard qu'il m'a lancé. S'il avait plu et qu'une mélodie avait retenti il aurait pu déchirer son tshirt et danser sous la pluie comme Usher.

U got it bad ...

Je m'en suis voulue tout l'été qui a suivi. Bouba, l'amour impossible. Le voir si mal, une poussière dans l'œil, le cœur sûrement en miettes, ça m'a pétri de culpabilité. Mais à 17 ans, je ne me voyais vraiment pas tenir tête à l'instance fraternelle, je n'étais pas de ces filles qui savent se cacher, vivre leur vie puis imposer leurs choix une fois sûre d'elles. Je suis une petite frappe, sage et respectueuse. Durant tout l'été je n'ai fait que de penser à Bouba. Puis la rentrée a apporté son lot de surprises et c'est à cette même période que j'ai rencontré le stress des exams et le connard qu'allait devenir mon mari. Je me suis jetée dans cette relation-pansement a cœur perdu et j'ai cru y gagner au change mais maintenant je sais que ce n'était que de la poudre de lessive. Depuis le début de mon arrêt maladie, je cherche Boubacar sur les réseaux sociaux. Je l'avais en ami sur facebook à l'époque de mes fiançailles mais il m'avait supprimé dès que j'avais mis à jour mon statut de fiancée à mariée. Quand il m'avait ajouté il semblait m'avoir pardonné, il avait lui-même une petite-amie, une espèce de métisse sportive qui semblait travailler pour la marque Nike, comme lui. Boubacar a toujours su ce qu'il voulait faire malgré son bac pro et sa mélanine pas très frenchy : du marketing pour une marque de sport. Et il y était arrivé. Je l'en avais félicité mais c'était le seul échange qu'on avait eu. En couple tous les deux, on n'allait pas se raconter toute notre vie depuis la terminale.
Je m'en veux d'avoir perdu sa trace. Il avait un nom trafiqué sur facebook, pas son véritable nom ; Boubacar Sy, Ça aurait été trop simple ...

Pourquoi je veux le retrouver ? Je ne sais pas. Le stalker, sûrement, histoire de voir ce qu'il fait, s'il est marié, s'il a un enfant, s'il travaille toujours chez Nike, s'il est heureux en somme. Je veux m'imaginer ce qu'on aurait pu être si j'avais eu les couilles de donner une chance à cette histoire naissante. Peut-être qu'on aurait cassé avant le bac ou qu'on serait aujourd'hui les heureux parents d'une petite Alya Sy. Je ne sais pas. Personne ne sait.

Je me rends compte que j'ai vieilli, parce que pour en venir à regretter son crush du lycée, c'est vraiment qu'on a atteint les 25 ans et qu'on approche de la trentaine ... Ou que notre vie est très merdique. Dans mon cas c'est les deux. Karima et moi sommes les deux seules bouffonnes à n'avoir gardé aucun lien avec les gens qu'on fréquentait au lycée. Des asociales. Impossible pour moi de retrouver Boubacar sur le mur de quelqu'un d'autre. Ça me déprime encore plus. Je jette un œil à mon téléphone :
« Un verre ça te dirait ? Salle climatisée, of course  »
C'est Erdem. On s'est échangés nos numéros la dernière fois, en faisant le chemin du retour ensemble. Tantôt sympathique, tantôt lourd, je ne sais pas très bien où le situer. Ce qui est sûr c'est que ma sainteté à des limites et que j'en ai marre de m'endormir seule. S'il tient tant que ça à me fréquenter, peut-être que je me laisserai tenter.
Je ne sais pas si Karima m'a lobotomisée mais mercredi prochain je serai une femme divorcée, je n'ai pas envie de devenir une femme aigrie.
Vais-je venir grossir les rangs des filles douces et rêveuses muées en femmes sans attache parce qu'on leur a piétiné le cœur avec les Timbaland de l'infidélité et de l'humiliation ? Je crois bien.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant