Chaque histoire a ses faiblesses. Je dors chez Erdem jusqu'à samedi. J'étais pas super enthousiaste à cette idée mais depuis qu'on a vécu ensemble, vivre l'un sans l'autre, c'est bizarre, c'est comme régresser. Attentionné il a arrangé sa garçonnière de manière à ce que je puisse y mettre mes affaires. On cuisine ensemble, on discute, on se chamaille et on regarde chaque soir un épisode de las chicas del cable. On est vraiment redevenus le couple tranquille du début du confinement. Cette complicité est touchante mais je ne perds pas de vue mon idée d'amadouer son père. J'ai évoqué l'idée au dîner mais il s'est montré réticent :
- Il ne faut pas forcer la main de quelqu'un...
- De quelqu'un non, mais de ton père ...
- De quelqu'un comme mon père, il a complété. J'ai l'impression que la froideur de mes parents te touchent encore plus que moi.
- Ben c'est juste que moi, j'aimerais que les choses avancent à un rythme normal et que ta mère me tolère, à défaut de m'aimer.
- Elle ne te connait même pas Inès. Laisse faire les choses.
"Laisse faire les choses"? Il veut blaguer qui? J'ai tellement laissé faire les choses dans ma vie, que mon ex a fait un gosse à une autre. C'est fini de laisser l'autre rythmer la relation.
- Imagine qu'il y a une deuxième vague du Corona et qu'on est reconfinés, j'ai lancé.
- Ça n'arrivera pas, il a fait, j'ai rencontré un médecin qui...
- Chut. Laisse-moi parler, je l'ai interrompu brusquement. Oublie tes infos de journaliste. Sois un peu bête deux secondes.
- ça va être dur, il a grimacé...
- Ok Pullitzer. Imagine que subitement la France talonne les Etats-Unis avec le nombre d'infectés et que Macron entre deux tiktoks avec Brigitte sur du TAY-C pète un câble et décide d'un confinement bis.
- Donc Macron c'est un ado de 17 ans ?
- Suis ma réflexion. Si la situation sanitaire est alarmante on pourra pas revivre ensemble comme si de rien était. C'est péché.
Il m'a regardé et a pouffé de rire :
- Subitement là c'est péché la cohabitation ? il a demandé avec sarcasme. La première fois c'était un essai gratuit ?
- Écoute, moi je suis d'avis qu'on se marie avant la fin de l'année, ce qui veut dire que ta mère doit devenir ma meilleure amie avant Septembre. Elle aime les tartes aux pommes ?
- Inès, je te le répète plus tu forceras la situation, plus ça prendra du temps. Laisse faire les choses, prie et détends-toi.
A nouveau, la nerveuse et angoissée qui vit en moi a pris le contrôle de mon cerveau et s'est mise à brailler à l'intérieur de moi mais je me suis rappelée les conseils de Karima et le concept du destin, qui veut que ça ne serve strictement à rien de s'agiter car quand quelque chose ou quelqu'un n'est pas fait pour toi, tu auras beau t'agiter dans tous les sens, il ne se passera strictement RIEN. Cette idée est d'ailleurs très désespérante dans certains cas. J'aime bien l'idée de forcer le destin, moi, parce que je suis une forceuse née et je pense que si je n'avais pas grandi avec une religion, j'aurais été une super forceuse-abusé-comment-elle-force. Je sais pas si ma vie aurait été largement différente mais ce qui est sûr c'est que je n'aurais jamais laissé les gens m'endormir avec des « c'est le destin ». Je trouve qu'à certains niveaux ça pousse les plus paresseux à l'inaction. Alors que la vie, elle donne plus souvent leurs chances aux acharnés qu'aux gens paresseux qui s'assoient sur le sol après le premier échec.
Je me fais rire parce que je me rends compte à quel point Karima me connaît bien, pour l'homme que j'aime j'ai de la ressource mais pour me sauver moi-même, il n'y a plus personne. Je n'ai pas posté une seule vidéo pendant le confinement, or c'était le moment de percer, ou au moins d'essayer. Le truc c'est que j'ai plus le temps, je voudrais atteindre le niveau de Sananas direct. Galérer, faire 4000 vues, c'est OK quand t'as 18 piges que t'es chez tes parents et que Parcoursup t'as mis une douille et qu'en attendant ta réorientation tu publies des vidéos mais à mon grand âge, je veux tout et tout de suite. De la youtube money. Des billets violets.
Du coup j'ai réfléchis pendant que j'encaissais une bimbo au visage coupé par un masque siglé LV et j'ai décidé d'être égoïste. L'argent de mon ancien compte-joint avec Yanis ainsi que mes économies vont me servir à payer une formation de trois mois dans une école parisienne de maquillage. C'est décidé, je vais vivre de ma passion. Go devenir la make up Artist des mariages les plus stylés d'île de France. J'ai bien réfléchi, je compte négocier une rupture conventionnelle avec ma boss chez Séphora et débuter la formation en octobre. Je suis un peu paniquée à l'idée d'envoyer valser mon CDI mais c'est de plus en plus dur de faire un taf que je n'aime pas et qui ne m'apporte rien, ni humainement, ni financièrement. Mes collègues préférées sont toutes en cloque, je ère dans les allées en écoutant du Ariana Grande à longueur de journées. Je m'ennuie, j'ai même plus quelques moments de rigolade et je ne maquille plus. C'est chiant. Erdem trouve mon idée bonne. De toute façon, même si ça n'avait pas été le cas, tant pis. Mon argent, mes projets. Puis quitte à ce que sa mère me méprise, qu'elle méprise une vraie bonne maquilleuse.
Blottis dans les bras l'un de l'autre, à une heure du matin, le téléphone de mon chéri s'est mis à vibrer. Ensommeillée je l'ai entendu répondre à son interlocuteur puis hausser le ton :
- QUOI ? Il a dit avec stupeur.
Au son de sa voix j'ai compris qu'il se passait un truc. Je me suis alors redressée et j'ai ouvert les yeux comme un suricate.
- Qu'est-ce qui se passe j'ai fait en allumant la lumière de la table de chevet.
Il a raccroché. J'ai réitéré ma question :
- Qu'est-ce qui se passe Erdem ?
Statique il m'a regardé sans un mot et j'ai vu une larme couler sur sa joue.
D'un coup j'ai compris.
VOUS LISEZ
Ce que femme veut
Ficción GeneralInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...