Ce que femme veut - Part 53- Préfère toi

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J'ai insisté pour qu'on déjeune ensemble dans un petit Italien près de la station Cadet. Elle faisait un reportage pas loin sur les violences conjugales pendant le confinement. Elle est arrivée l'air renfrogné dans son jean troué aux genoux et son t-shirt aux couleurs de l'arc-en-ciel. Une fois assise, elle m'a vue étudier son haut.
- On me l'a offert à la pride, elle a fait en guettant ma réaction.
Elle s'attendait sûrement à ce que je rougisse ou que je secoue la tête de gauche à droite l'air choqué, mais je suis restée cool. Je connais Karima et ses techniques de provocation. Après avoir commandé des pâtes au saumon et pris des nouvelles, je me suis excusée.
- T'avais raison. Je me mentais à moi-même et je faisais la meuf déterminée à me passer de lui alors que je l'aime.
- Évidemment que tu l'aimes, elle a fait en nous servant de l'eau. Mais tu peux l'aimer et t'aimer aussi. Le couple n'oblige pas à satisfaire l'autre comme un esclave servile.
- Je le sais.
- Inès, si j'insiste autant, elle a dit en arrangeant une mèche de cheveux, c'est parce que j'ai peur que tu te perdes comme après ton premier mariage. Erdem n'est pas aussi con que Yanis, c'est sûr, mais ça reste un homme. Préfère-toi. Toujours. Dans toutes les relations que tu auras avec un gars, préfère-toi. Parce que tu dois te mettre en priorité, faire de ton bien-être un élément essentiel de ta vie. On n'est pas nos mères, c'est fini de se mettre en 4 pour un mec qui se dore la pilule ou qui prend la relation pardessus la jambe. J'ai pas été aussi franche que ça envers toi, par méchanceté ou simple maladresse, c'était un vrai signal d'alarme. Parce que te voir osciller entre la parano et l'aveuglement, ça me fait peur. J'ai pas envie qu'il te la mette à l'envers ou que t'y laisses ta santé mentale.
- J'en suis pas là, j'ai fait gênée.
- C'est vite arrivée, crois-moi. J'en ai tellement dans ma famille ...
Karima évoquait à demi-mots Sonia, sa cousine, internée après avoir découvert que son mari menait une double vie depuis des années. Cette histoire avait fait le tour de Bourges, on n'avait que 17 ans à l'époque, mais ça nous avait marqué parce que Sonia était l'archétype de la belle femme, mariée à un bel homme, chef d'entreprise. Sur facebook, les photos de leur mariage avaient tourné tant ils étaient beaux et représentaient le couple goal. Seulement, après la révélation de la double vie de son mari, elle avait sombré dans une dépression agressive, au point de devenir dangereuse pour elle et ses enfants. Après deux mois d'internements, elle était méconnaissable. Ses yeux verts semblaient avoir viré au marron terreux, des rides s'étaient dessinées sur son visage de jeune trentenaire anciennement épanouie et ce sont sa mère et ses tantes qui avaient dû assurer l'intérim de son rôle de mère auprès de deux enfants en bas âge. Pour se rassurer dans la famille de Karima, tout le monde disait qu'elle s'en remettrait en quelques semaines ou quelques mois, qu'elle redeviendrait la belle Sonia, bien apprêtée et souriante, sauf qu'elle ne s'en est jamais remise. Elle a changé. Terne, l'œil hagard, comme vidée de son essence, elle a repris sa casquette de mère et a continué son travail de gérante d'une boutique de vêtements. Elle a divorcé de son infidèle il y a très peu de temps. Deux ans, tout au plus. C'est pour ça que Karima insiste tant sur l'idée de se préférer. Sonia a voulu garder son train de vie, cette apparence de couple mais ça l'a plus détruite qu'autre chose car son mari a profité du fait que la vérité sur sa double vie éclate pour mieux asseoir ce mode de vie égoïste qui n'avait jamais été évoqué auparavant. De la dissimulation il est passé à une revendication d'un statut de mâle alpha assez aisé pour gérer deux femmes et quatre enfants. Aujourd'hui, Sonia vit dans un bâtiment HLM avec ses deux enfants, elle fréquenterait un homme de son bâtiment mais sans grande passion, juste par peur d'être totalement seule. Ce qui est rageant c'est que lorsque son divorce a été ébruité, les gens qui n'étaient pas au courant de la double vie de son mari y sont allés de leur commentaire :
« Il a dû la jeter, c'est normal, elle a l'air si triste, si dépressive, un bel homme comme lui, il s'est lassé. » ou alors « elle était si belle, c'est dingue qu'elle soit ni négligée maintenant. Elle aurait dû plus prendre soin d'elle, c'est normal que son mari l'ait quitté. » Forcément ça venait d'elle, comme pour moi et comme pour tant d'autres divorcées de ce monde, l'unique coupable ne pouvait être que la femme, incapable de garder sa beauté, celle pour laquelle ce goujat avait succombé. Le pire c'est que ces phrases sortaient de la bouche de femmes, de ces personnes qui auraient pu être des alliées, des épaules sur lesquelles on pleure mais qui avaient choisi de jeter la première pierre.
- Je sais ce que tu penses du couple et des ravages sur les femmes comme moi, mais j'ai mûri et je fais attention à ne pas ramer toute seule, j'ai confessé. D'ailleurs, je pense que ça va être plus compliqué que je le pensais avec la mère d'Erdem. Elle le boycotte et moi, j'ai eu l'audace de l'appeler et crois-moi, elle me déteste.
- Mais une belle-mère c'est fait pour ça non ?
- Pas à ce point-là. Elle m'a dit que j'étais pas à la hauteur parce que je suis Arabe, wesh, c'est violent.
- Et tu lui as dit que le gland de son fils il était pas si communautariste ?
En me voyant rougir, elle a éclaté de rire. Elle adore ça, me mettre mal à l'aise.
- Non mais plus sérieusement, qu'est-ce que tu t'en fous ! Vivez votre relation et la belle-mère, elle prendra le train en route. Elles le font toutes.
- Sauf qu'on parle de mariage ... Et on peut pas se marier sans la baraka.
- Si j'étais vous je me marierai à Vegas avec Elvis, frère. Et fin du jeu. Attends, si tu dois quémander la bénédiction d'une femme qui n'aime que les Turques, t'es mal barrée!
- Ben c'est ce que je te dis ... C'est chaud.
- Et Erdem il en dit quoi ?
- Il m'assure que ça va bien se passer. Il a l'air sérieux mais tu me connais, j'ai toujours la crainte qu'il prenne ses jambes à son cou si ça parle de le renier.
- Ce qui me fatigue avec la plupart des histoires d'amour c'est qu'elle donne mal à la tête. J'ai une copine de Yoga, Claire, une Française blanche, qui sort avec un Congolais depuis trois ans, la mère du gars a mis un veto pour un quelconque mariage. Elle est dans la même situation que toi ... Mais elle veut pas lâcher l'affaire, ce qu'elle veut faire, c'est convaincre le père, pour que lui force la main de la mère. Un vrai casse- tête. Y a aucune teub qui me fera me ridiculiser comme ça. Tes parents veulent pas de moi ? Ben nardinamouk ! On dirait elles ont accouché d'un prince. Faut arrêter de sur-vendre son enfant.
Tandis qu'elle continuait à pester en parlant de la situation de Claire, j'étudiais son idée. Loin d'être mauvaise.
- C'est intéressant, j'ai éructé en reposant ma fourchette. C'est vrai qu'après tout, ils sont deux parents.
- Ouais bon, on sait tous que la parole d'une daronne compte double dans la plupart des familles.
- Oui mais ça ne coûte rien d'essayer.
- C'est sûr. Mais parles-en à Erdem, avant. Parce que si au coup de bigo intempestif à la daronne tu rajoutes un tête à tête avec le daron, je pense qu'il va mal le vivre.
- T'as raison. Tu m'avais manqué quand même !
- C'est normal, la franchise et l'intelligence finissent toujours par manquer, elle a raillé.
- Et moi ? Je t'ai pas manqué ?
- Vite fait ... Bon, ça va, tu m'as manqué ! Mais j'ai mis mon temps libre à profit et je me suis tapée un Cubain, ma sœur, c'était ... non, faut que je te raconte !
J'avais beau lui demander de m'épargner les détails, Karima ne savait pas être discrète sur le sujet. Rouge comme une pivoine, je la regardais en pouffant de rire.
C'était gênant mais bon de la retrouver. Ma meilleure amie. Mon opposée.

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