Ce que femme veut - Part 9 - Brunch sans broncher

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Je me suis fait violence en ce dimanche caniculaire. J'ai abandonné mes cartons et mon frigo vide pour suivre Karima et ses amis au Pain Quotidien. Je n'ai jamais brunché. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire il y a une semaine. En gros c'est un repas à cheval entre le petit-déjeuner et le déjeuner. Un truc de personne bien portante. A plusieurs reprises j'ai demandé à mon amie si les tickets restaurants étaient acceptés dans cet établissement mais je n'ai eu pour seule réponse que son mépris. J'ai lu la carte sur internet et des œufs Bénédicte à 9 euros, ça me parait en totale opposition avec ma pauvreté. De toute façon je ne pourrais pas en manger, il y a du jambon dedans mais je suppose qu'ils auraient plus le remplacer par du saumon.
Karima, mon portefeuille limité et moi sommes les premiers attablés. Je l'observe lire des tweets sur son smartphone, pendant que j'angoisse à l'idée de devoir rentrer vider mes cartons. Je n'ai pas l'habitude de tout faire toute seule. Cet emménagement est un soulagement mais un calvaire. Yanis savait y faire lui, avec les déménagements ... L'appartement est silencieux, je n'ai pas encore de télé. La peinture est terne et la moquette hideuse. Ce sont des détails, c'est vrai, mais ils prennent beaucoup d'importance lorsqu'on est déjà malheureux. J'essaie de positiver et de me rappeler que des tas de personnes sont sans domicile fixe ou vivent dans des apparts insalubres. D'ailleurs, hier soir, j'ai pris la décision de devenir bénévole chez Emmaüs. Tous ces cartons de fringues m'ont fait prendre conscience que d'une, mon futur ex-mari avait raison : j'ai trop de fringues et de deux j'ai besoin de me concentrer sur les difficultés des autres pour sortir la tête de l'eau. C'est faussement généreux, vraiment égoïste mais plus jeune j'avais fait du bénévolat quelques mois et ça m'avait vraiment plu. Je traversais une période difficile et aider ces gens, créer du lien social, écouter les histoires des uns et des autres cela avait apaisé mon mal-être de post-adolescente. Je me sens si seule.
Ma première nuit dans mon nouvel appart je l'ai passée à même le sol, la lumière allumée, impossible de dormir. Encore une fois, je tire mon chapeau aux personnes célibataires, étudiantes, qui vivent cette situation sans chouiner. A mes yeux, c'est aussi effrayant que l'isolement en prison.
Tandis que je noie mes yeux dans le vague, les amis de Karima débarque à tour de rôle. On se fait la bise. Erdem me demande deux fois de suite si ça va. Je hoche la tête et évite son regard. De Charles et de Paul je ne saurais dire lequel est le plus en kiffe sur Karima. Ils la dévorent des yeux comme le dernier macaron Ladurée d'une boîte de 6. Clara, la guitariste est aussi originale que son métier l'indique. C'est une artiste, une torturée. Ça fait à peine cinq minutes qu'elle est assise qu'elle nous abreuve déjà d'anecdotes sur sa vie. Cette impudeur me fascine. Pour moi, il est impensable voire impossible, de dévoiler des détails de ma vie, qu'importe qu'ils sont intimes ou triviaux, je n'y arrive pas. Erdem prend des nouvelles, Karima lui a dit pour l'appart.
- Ce n'est pas très grand, mais c'est mieux que rien, je fais timidement.
- Et tu t'en sors pour les meubles ? La peinture ?
- Les meubles oui, les livreurs ont été sérieux mais pour la peinture, ce n'est vraiment pas ça, je songe à la refaire moi-même mais je n'ai pas vraiment le temps ... Mes frères m'aideront sans doute quand ils découvriront l'appart.
- Si c'est qu'un coup de propre que tu veux faire, je peux t'aider.
- Non, ça va merci. Je dis en haussant les épaules.
- J'ai rafraichi la peinture de mon appart il y a à peine 5 mois. Il me reste même un pot de peinture.
- Non, je vais m'en sortir, t'inquiète.
Erdem me fait face, il ne veut pas insister mais il le fait. Il pense qu'en deux dimanches, on pourra venir à bout de ce blanc cassé hideux que je vois en permanence. Karima intervient :
- Laisse-le t'aider. Je serai là si tu veux.
Je déteste quand elle m'affiche comme ça ! Je ne suis pas une enfant qu'on doit chaperonner. Si je ne veux pas qu'un inconnu rentre chez moi, c'est mon droit.
Ils sourient tous et me jettent un regard empreint d'incompréhension.
- C'est elle, ta copine coincée, lâche Clara sans se rendre compte que j'ai des oreilles ...
Karima lui fait signe de se taire. Je suis super gênée.
- Mais tranquille, si t'as besoin t'as mon numéro.
- Non, elle ne l'a pas, précise Karima.
- Tu lui donneras alors.
Elle hoche la tête. Je commence à trouver ce brunch ridicule. Tout ce que je veux c'est manger des œufs et du saumon, pas qu'on me prenne par la main. Face à ma raideur, ils abordent un autre sujet : Neymar, accusé de viol.
Ils ont tous un avis sur la question, sauf Erdem qui me regarde fixement.
Il est étrange ce mec. Presque gênant.
Durant le brunch, je reste assez silencieuse. C'est la dernière fois que je me force à me rendre à l'un des évènements de Karima. Je ne suis pas faite pour ces délires. Mais je dois reconnaître que la bouffe est bonne. Moi qui n'ai pas mangé de vrais repas depuis quelques jours, je reprends goût à la vie gustative. Prochaine étape, me sentir bien chez moi.

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