Je passe des nuits blanches à réfléchir. Karima a raison. Sans elle, je n'ai plus d'amie. Et sans amie la vie est vraiment nulle.
En pyjama dans mon lit, je surfe sur le net, coule sur les réseaux sociaux, étudie le profil de Fidan puis celui d'Erdem, rien de nouveau, la vie se vit de toute façon. S'ils sont fiancés ou en pleine reconquête ils ne vont pas le placarder sur tous les murs. J'en suis arrivée à la conclusion que je n'avais pas le choix. Je ne peux décemment pas vivre dans le regret.
Mardi soir, après deux épisodes Grey's Anatomy j'ai pris mon courage à deux mains et je lui ai écrit:
« Salut, je me permets de te déranger. J'espère que ça va de ton côté, je voulais savoir si ça te dirait d'aller boire un verre tous les deux, pour aplanir la situation. J'ai le sentiment d'avoir mal agi et ça me tracasse un peu. Si tu refuses, je le comprendrai aussi. Inès. »
Il a répondu six heures plus tard : « Salut, OK, pas de problème, ce soir c'est faisable ? A République, 19h ? » Je me suis empressée de confirmer ma présence. Apprêtée, glossée, parfumée, manucurée, je l'ai rejoint en terrasse sur l'avenue et inutile de souligner que mon cœur a bondi de ma poitrine quand je l'ai découvert, égal à lui-même, beau gosse mais une cigarette à la main. Je n'ai pas osé lui faire la bise, je me suis contentée d'un large sourire suivi d'un « ça va » timide en m'écrasant sur la chaise en face de lui. Il y avait de la tristesse dans son regard. Mal à l'aise, je me suis dit que j'aurais sûrement dû éviter de me faire si belle juste pour le faire regretter. Un serveur masqué est rapidement venu prendre nos commandes ; un diabolo menthe et pour lui un Virgin Mojito. On s'est dévisagés quelques secondes comme deux inconnus semblant se connaître.
Étant à l'initiative du rendez-vous, j'ai pris la parole, la voix un peu tremblante :
- Ça va le boulot ?
- Ouais, j'étais aux dernières manifs contre le racisme. J'ai pas mal de taf en ce moment.
- C'est top.
- Je pensais t'y voir avec Karima, d'ailleurs...
- A la manif en l'honneur d'Adama Traoré ?
- Ouais.
- Elle m'avait proposé de l'y accompagner mais j'avais pas trop le moral à cette période.
Fébrilement il a attrapé la branche de ses lunettes et s'est mis à jouer avec à l'aide de ses doigts. C'est bizarre de parler à un ex qu'on fréquentait encore il y a un mois ... C'est gênant et super rassurant à la fois.
On a évoqué ma reprise, la chaleur, les vacances puis à court de sujets bateau, j'ai pris une gorgée de mon diabolo et me suis lancée :
- Bon, autant rentrer dans le vif du sujet, j'ai fait en rougissant. Je m'excuse pour ce qui s'est passé, j'ai eu un comportement de gamine et je m'en rends compte sans doute tardivement mais je déteste laisser une mauvaise impression aux personnes que j'apprécie. J'ai peut-être, sans doute été trop ....
- Perspicace, il m'a interrompu en se redressant.
- Quoi ?
- T'avais raison, il a murmuré en passant une main dans ses cheveux. Fidan et ma mère étaient vraiment en connivence toutes les deux. Aussi incroyable que ça puisse paraître ma mère voulait que j'épouse mon ex. Je te jure j'ai eu beaucoup de mal à comprendre et à l'heure actuelle je ne comprends toujours pas. Évidemment à part si Dieu en personne descendait sur terre pour m'intimer l'ordre de l'épouser, ça n'arrivera pas! Ma mère aime beaucoup les beaux mariages et le regard des gens. Parfois elle ne se rend pas compte que d'une je suis un adulte et de deux je veux pas de la vie qu'elle veut pour moi. Comme Lara ne veut pas de la vie qu'elle veut pour elle. C'est compliqué de lui faire entendre raison. On est en froid depuis deux semaines. C'est la première fois de ma vie que je tiens tête à ma mère. C'est très bizarre mais c'est utile, je le sais, pour "devenir un homme" faut peut être que j'en passe par là. Je peux pas épouser quelqu'un que je n'aime pas et qui en plus m'a fait du mal juste pour contenter ma mère, souffrante. Je l'aime beaucoup mais faut pas pousser. C'est trop ...
Les larmes aux yeux je lui ai demandé les détails de cette découverte mais il est resté vague, c'est sa mère qui lui aurait révélé le plan et Fidan n'aurait pas nié. J'ai compris la raison de la tristesse dans son regard. C'est toujours dur d'être trahi par son propre sang.
- Je suis désolée. Vraiment.
- T'as pas à l'être, t'avais raison, c'est moi qu'ai rien vu.
- Oui mais ...
- Y a pas de mais Inès. Quand tu m'as envoyé ce message j'étais soulagé parce que j'avais essayé de te joindre à deux reprises mais tu m'avais bloqué.
- ... J'étais un peu énervée.
- ... Karima m'a dit que tu voyais quelqu'un.
- Elle a dit ça ? j'ai demandé troublée.
- C'est faux ?
- Oui.
- Oui quoi ? Tu vois quelqu'un, il a insisté.
J'ai hésité. Je me suis demandé rapidement s'il ne valait pas mieux rester dans le flou, genre, femme mystérieuse ou alors dire la vérité et tenter une reconquête.
- En fait je me suis inscrite sur un site de rencontres, pour tourner la page et je devais rencontrer un mec mais il a annulé à la dernière minute et je n'ai pas donné suite donc non je vois personne.
La vérité. J'ai choisi la vérité.
- Ah oui tu tournes vite les pages toi, il a fait en se moquant.
- Le temps ne nous appartient pas Erdem, il est déjà plus tard qu'on ne le pense.
- C'est vrai. Et Dieu sait qu'on en a perdu du temps, il a fait en se mordillant la lèvre.
Détendus, on a continué à discuter quelques minutes et il m'a proposé de marcher jusqu'au quartier. Deux stations. On a évoqué nos projets de vacances à nouveau, comme intimidés par cette intimité soudaine. Erdem avait l'air gêné, comme lors de nos premiers rendez-vous. Comme si le fait de découvrir que j'avais raison depuis le début, le rendait humble et honteux. C'était tellement beau et triste à voir. J'avais envie de le prendre dans mes bras, mais je ne pouvais pas, il restait une séparation protectrice entre nous, une pudeur maladroite.
- Cannes cet été, il a affirmé, j'y vais avec mon cousin, sa femme, Lara et un pote d'enfance.
- C'est des vacances familiales c'est cool.
- Grave, j'ai besoin de me vider la tête, de sentir le sable sous mes pieds, manger des gambas, c'est dans trois semaines, j'ai vraiment hâte. Et toi ? Karima m'a parlé de la Grèce en août.
En nous arrêtant sur un passage piéton, je lui révélé l'embrouille qu'il y a eu entre nous deux.
- Je pense qu'elle y ira avec ses copines d'école de journalisme, j'ai répondu amère.
- Karima et toi, vous êtes inséparables, ça va forcément s'arranger.
- J'espère bien mais pour l'instant j'ai aucune envie de faire le premier pas.
- T'es dure, il s'est exclamé en me tapotant le dos. T'as beaucoup d'égo.
- Toi t'en as pas ?
- Pas autant que toi, je peux te l'assurer.
- Ce que tu comprends pas c'est que Karima c'est ma sœur, elle me connait par cœur et utilise parfois des mots pour prétendument « me secouer » mais qui me blessent. Je déteste ce côté piquant qu'elle peut avoir parfois.
- C'est ce qui fait son charme, elle est sans filtre. Mais comme tu dis c'est ta sœur. On pardonne tout à une sœur.
Il avait raison mais je voulais pas qu'on soit à égalité au niveau de la sagesse, alors je me suis contentée d'hausser les épaules.
Lorsqu'on est arrivés devant mon immeuble, l'ambiance était vraiment très cool. Je voulais pas vraiment rentrer mais il le fallait bien.
- Ça m'a fait très plaisir d'échanger avec toi, il a fait en me regardant droit dans les yeux.
- Moi aussi.
- T'es toujours inscrite sur ce site de rencontres, il a demandé sans crier gare.
- Ben, ouais, j'ai bégayé, mais pas active.
- Si tu veux aller diner quelque part, un soir, maintenant que tu m'as débloqué et que t'es toujours célibataire...
- Ouais avec plaisir. Tu m'appelleras.
On a ri encore quelques minutes puis il m'a collé une bise et je me suis éclipsée comme une pucelle qui venait de partager un moment intime avec son crush. Le sourire aux lèvres, lorsque je suis arrivée dans l'immeuble au niveau des boites-aux-lettres mon téléphone s'est mis à sonner, j'ai répondu.
- Vendredi soir, t'es libre ? Il m'a demandé.
Je me suis retournée et il était encore devant l'immeuble :
- OK, j'ai fait. Mais cette fois on ne se rate pas.
Ça m'a fait penser à une chanson de rnb dont les paroles du refrain commençaient par : Here we go, here we go again ...
Impossible de ne pas tenter une dernière fois.
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Ce que femme veut
Genel KurguInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...