Ce que femme veut - Part 40 - Prendre le temps ...

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Je suis amoureuse. Erdem s'est endormi sur mes genoux après le deuxième épisode de la Casa de Papel. Il a taffé toute la journée pour rendre son article à temps le pauvre chéri. J'adore quand il est aussi vulnérable, à ma portée, comme un gosse. Je lui caresse les cheveux en regardant des clips à la télé. Je commence à faire des plans sur la comète. Je sais que notre romance est bien trop récente pour m'imaginer devant chez Monsieur le maire avec lui mais comme Erdem l'a rappelé dernièrement, on se connait depuis près d'un an. Si on prend en compte la phase amicale que j'ai fait durer, notre histoire ne date pas d'hier. Bien évidemment, je ne l'évoquerai pas avec lui et encore moins pendant le confinement. Je n'ai pas une grande expérience des hommes mais je connais leur peur panique de l'engagement. Tant qu'eux ne l'ont pas formulé, il ne faut pas les brusquer de peur qu'ils se braquent comme des petits cons. La vie ensemble ressemble à une épreuve de contrôle continu. Chaque jour on passe des tests, on vérifie qu'on est compatibles, je peux clairement pas imposer le sujet « officialisation » alors qu'on se prend la tête un jour sur deux et qu'on en est encore à la phase « recherche du rythme de croisière », mais je suis une amoureuse du mariage. On ne se refait pas. J'ai beau m'être pris le Titanic en pleine face avec l'adultère et le départ de Yanis, à mes yeux, le mariage quand il est voulu pour de bonnes raisons et qu'il est consenti entre deux personnes loyales et responsables, ça reste le plus bel engagement qui soit. Tu ne peux pas faire plus fou, plus romantique ou plus traditionnel au XXIème siècle.
Tout ce qu'on fait dans le mariage on le fait hors mariage alors décider tout de même de choisir une personne, de t'unir à elle, c'est une prise de risque et de responsabilité énormes. Inutile dirait Karima. Par exemple, elle pense que je suis une bouffonne, vieux-jeu et que c'est pour ça que je bave autant devant les robes blanches mais si c'était le cas il y a 6 ans, j'ai bien évolué sur la question. Et ça, les femmes qui n'ont jamais été mariées ne peuvent pas le comprendre. Ce n'est pas la fête, la bague à l'annulaire ou le fait de pouvoir cocher la case « mariée » sur les documents administratifs qui me font rêver, c'est bel et bien l'engagement. La profondeur de ce « oui » dans les abîmes de la vie quotidienne.
Je me considère comme une femme fidèle, à mes yeux quand on entretient une relation avec une personne, la moindre des choses c'est de se concentrer uniquement sur elle et s'il y a bavure, d'au moins l'en informer pour qu'elle puisse choisir de pardonner ou partir.
Dans mon monde, être avec un seul homme le restant de sa vie, le choisir, grandir, mûrir avec lui, construire une relation solide, qui implique un investissement total dans les hauts comme dans les bas, ça ne me fait pas peur. Je sais que ça peut être effrayant pour certains, voire sans saveur pour d'autres, car on peut partir du principe que la vie en concubinage offre exactement les mêmes responsabilités pour les mêmes avantages mais je reste une inconditionnelle du livret de famille. Si Erdem me demandait ma main, je pense que je dirai oui. Et pourquoi il en serait autrement ?
La vie est une aventure. J'ai fréquenté Yanis plus de deux ans et ce n'est que dans le mariage qu'il s'est révélé. On ne connait jamais bien les gens alors quand le cœur est pris et que les parents donnent leur bénédiction, je vois pas pourquoi il faudrait attendre. Puis d'un point de vue purement spirituel, on n'est pas en bonne posture. Je ne suis pas très fière d'être dans cette position. Parfois je me dis qu'il y a pire, mais d'autres fois, je m'en veux de faire tout ça. Erdem dit partager mon avis mais ça ne l'empêche pas de réclamer régulièrement...
L'année dernière, une telle situation aurait été inenvisageable mais il faut croire que ma pratique religieuse a bien changé ou tout simplement que j'ai évolué sur le sujet. Je ne suis pas encore très sûre de moi.
J'ai conscience qu'on marche encore sur des œufs mais ce que je voudrais c'est qu'il commence à parler de moi à ses parents pour que j'en fasse autant auprès de la mienne. Je sais d'avance que mon père ne dira rien. Il est très conciliant depuis qu'il a vieilli. Ma mère serait sans doute celle qui me donnerait le plus de fil à retordre. Elle reste persuadée que je finirai avec un Algérien de bonne famille et pieux. Elle a pas encore réalisé que 80% des mecs de ma génération sont des imposteurs, des machos incapables d'exécuter une tâche ménagère ou de faire cuire un oeuf qui recherchent leur mère chez leur épouse ou encore des cas sociaux sans ambition pères de 4 enfants de trois mères différentes à seulement 30 ans. Les 20% restants sont soit pris, soit pas de la même confession religieuse ou ethnique, soit ne s'attarderont jamais sur une maquilleuse divorcée de 27 ans comme moi qui peine à joindre les deux bouts. Il faut être honnête, les mecs aussi cherchent des femmes solides qu'ont un bon métier, des avoirs et un passé pas trop chaotique. Nos parents s'épousaient pour procréer et avoir une vie meilleure grâce à leurs enfants, nous, on veut d'abord être sûrs d'avoir une vie meilleure avec un compagnon qui est susceptible de nous l'offrir et ainsi procréer pour mettre bien nos enfants. Soyons clairs les règles du jeu ont changé. Être gentille et mignonne, ça ne suffit plus. Il faut avoir des atouts concrets à poser sur la table de l'amour. C'est pour cette raison que je pense de plus en plus à me lancer dans un vrai business de make-up, à me déplacer dans toute l'île de France et maquiller des futures mariées, des femmes célèbres, qui pourraient m'apporter une visibilité et ainsi gagner ma vie décemment.
Le confinement me permet de mettre le doigt sur ce qui cloche dans le CV de ma vie et je pense que le fait de voir petit, d'être juste dans la moyenne, alors que j'ai une passion et que je pourrais faire comme toutes ces personnes qui se donnent les moyens de réussir, ça pourrait me mettre des bâtons dans les roues.
Si demain, je viens à me poser avec Erdem, comment expliquer un tel fossé entre nos deux niveaux sociaux ? Lui journaliste, master en poche, bilingue anglais et moi vendeuse chez Séphora qui bugue face à un simple « Can I pay by card ? ». Non. Je m'en fiche qu'il ait des diplômes plus valorisants que le mien, mais je veux au moins exercer un métier dont je suis fière et qui me ressemble. J'ai aussi décidé de reprendre une bonne alimentation, dans l'optique de rencontrer ses parents. Fidan est mince et élancée, si ses parents l'ont validé, je suppose qu'il vaudrait mieux que je n'arrive pas trop en mode batata. Erdem a beau clamé qu'il adore les formes, il sortait plus avec Kendall Jenner que Kim Kardash. Les goûts évoluent je le sais, mais je veux être la meilleure version de moi-même pour affronter le regard jugeant de ses proches.
J'ai vu assez de films turcs pour savoir que certains accordent beaucoup d'importance à l'apparence. Je veux mettre toutes les chances de mon côté quand le moment viendra. J'espère juste que si notre relation dure, Erdem ne se réveillera pas dans un an. J'ai envie d'avoir des enfants et un pavillon dans le 94...
Au moment où il se réveille le clip du chanteur YA LEVIS - MBANGU TE, apparait sur l'écran de la télé.

« Pas à pas Il n'y a que comme ça qu'on avancera
Bae ton cœur s'emballe
Tu vas vite, pour pas perdre de time
Fais tout dou.., tout dou... tout doucement
Car si on saute les marches on s'écroulera
Tu me l'avais promis bébé
Prenons le temps avant de s'engager» disent les paroles.

C'est fou comme les hommes peuvent être peureux en amour. Ils sont même prêts à le chanter ... Je pense en souriant.
J'enlace Erdem alors qu'il a encore la tête dans le gaz.
Je deviendrai sa femme un jour inchAllah.
J'en suis convaincue.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant