Le divorce par consentement mutuel, quand dans le fond tu n'es pas consentante, c'est une belle carotte. J'ai choisi cette option pour que tout aille plus vite mais au final ça traine.
Yanis aussi s'impatiente. Faut le comprendre, il ne voudrait pas que son premier enfant naisse hors mariage...
Il me dégoûte ce salopard. La tristesse de l'avoir perdu a laissé place à la haine d'avoir été prise pour une conne. On ne se réveille pas un matin avec l'envie soudaine de tromper sa femme, engrosser une autre, devenir violent, lâche et aussi con. Tout ça il l'était depuis le début, c'est moi qui n'est rien vu. Je ne rejette pas la faute sur mon âge, car des jeunes femmes peuvent être clairvoyantes, je la rejette plutôt sur mon romantisme et ma foi en un couple parfait. J'ai réellement cru au prince charmant, au mariage qui dure éternellement et au principe du « fille bien et mec bien = amour ». C'est du pipeau. Ou plutôt à notre époque, ce n'est plus vrai. Les crapauds sont déguisés en princes, pareil pour les femmes, tout le monde ment, on passe d'un filtre à l'autre, d'un déguisement à un autre, d'un lit à un autre. Rares sont ceux qui veulent faire les choses bien. Ça me fait rire parce que pour se défendre Yanis a dit que c'est le Sheitan qui l'a tenté et poussé dans les bras de sa prof de Zumba mais à ça non plus je n'y crois plus. On est tous doués d'un libre-arbitre et les pulsions peuvent se contrôler. Evidemment qu'on peut être attiré par quelqu'un d'autre que sa compagne, des meufs jolies, bonnes, disponibles et désirables, ça court les rues, mais de là à sauter le pas et à entretenir une relation avec une pure inconnue alors qu'on est engagé ailleurs, c'est méprisable. A cause de lui je n'ai plus du tout confiance en moi. Ce n'était pas glorieux avant cet adultère mais je vivais dans l'illusion d'être aimée et désirée. Maintenant il me reste quoi? Si ce n'est la conscience que je suis un mauvais coup incapable de garder son mari ? Parce que c'est aussi ça la vérité, je le sais. Alors, moi aussi je m'en veux. Mais je lui en veux plus. Il ne m'a pas du tout respectée et ça me ronge. Je crois qu'il fallait que les semaines passent pour que l'affection que j'ai pour lui s'estompe. Je prends enfin conscience que c'est un gros connard et que tout ce qu'il mérite c'est que mes frères lui cassent la gueule. Depuis que je sors avec lui je ne fais que le protéger, le rehausser auprès des miens et lui tout ce qu'il a trouvé à faire c'est coucher avec une prof de zumba ? Et pardessus le marché il lui a fait un enfant ... A ELLE mais tirait à blanc quand moi je crevais d'envie d'être mère. D'ailleurs, à ça non plus je n'y crois plus. Je n'aurais pas d'enfant. Je ne veux pas me remarier et encore moins donner naissance à un être qui soit deviendra un gros connard soit aura le cœur brisé comme moi. Ma mère à qui j'ai confié mon souhait de rester seule jusqu'à ce que je meurs, a demandé à Dieu de chasser ces idées de ma tête. Elle prie pour que je rencontre vite quelqu'un, un bon croyant, digne, un homme à la hauteur de ma bonté. Je lui ai dit :
- Mama tu gaspilles ton temps, je ne veux vraiment pas me remarier et Dieu le sait très bien.
Pour elle, c'est impensable que je reste seule et elle tient à ce que je vienne au bled pour qu'on en discute en chair et en os. Pour l'instant, je l'endors avec le boulot mais insistante comme elle est, il va bien falloir que j'aille lui rendre visite avant la rentrée. Le fait que je vive seule la stresse, me savoir chez Karima l'apaisait mais toutes les bonnes colocs ont une fin. En parlant de Karima, je filtre ses appels. Je suis un peu vexée qu'elle me fasse passer pour la cocue coincée auprès de ses potes blancs. Elle a une grande bouche, je le sais et je l'accepte ainsi mais je suis plus bas que terre et elle ne prend pas la peine de me relever. Ces petites piques dites sur le ton de l'humour, quand tout ton monde s'écroule, c'est dur à encaisser. Je ne suis pas elle, je ne change pas de mec tous les 3 mois, je n'ai pas un rapport aux autres aussi facile, elle doit m'accepter comme je suis et cesser de me pousser dans les bras du premier venu. Parfois, j'ai l'impression que pour lui plaire il faudrait que j'ai un plan cul ou un coup d'un soir. Ça la rendrait fière de moi.
Par texto, elle m'a dit :
« Bon, tu ne réponds pas à mes appels. Je passe chez toi après le boulot. Tu l'auras voulu. »
Impossible de vraiment bien l'esquiver.
J'ai à peine retirer mes talons, qu'elle sonne. Dans une petite robe en lin, elle tousse puis me demande ce qui me prend de faire la morte.
- J'ai mon appart à arranger, j'ai peu de temps à moi ...
- Inès, t'habites pas à Versailles non plus ...
Elle zigzague entre des cartons pleins et vient s'effondrer sur le canapé. Elle aimerait bien boire de l'eau. Docile, je vais lui chercher un verre et lui demande comment s'est passée sa semaine.
- Sans plus. Tu sais qu'on a fait un autre brunch hier ?
- Non, je l'ignorais.
- Erdem était là.
- ...
- Il a demandé de tes nouvelles ... Encore une fois ! Elle dit exaspérée.
- Il est poli.
- Non, il est intéressé.
- Par qui ? Je fais sincèrement en lui tendant un verre d'eau.
- Par toi, andouille ! Il y a des hommes à qui ça plait les femmes fragiles.
- Je suis loin d'être une femme fragile...
- Si tu le dis, Cendrillon, elle éructe avec mépris. Il ne te plait pas ?
- KARIMA ! Je m'écrie agacée. Tu crois vraiment que j'ai que ça à faire ?
- Que quoi à faire ? Je ne te suis pas ...
- Je suis en plein divorce et en plein emménagement alors l'intérêt de ton collègue je m'en tape. Tu devrais m'aider à remonter la pente plutôt que de m'envoyer dans les bras d'un Turc.
- Ah ce sont ses origines le problème ?
- Non.
- C'est quoi alors ?
- Déjà je ne m'intéresserais jamais à un mec avec lequel t'as flirté. Code déontologique de l'amitié.
- On n'a pas flirté, elle dit en croisant les jambes. Je l'ai toujours trouvé trop beau. Tu connais mon goût pour le charme plus que la beauté ... Puis si tu l'intéresses ça prouve bien que je ne suis pas son style ... La petite rebeu sage qui ne boit pas d'alcool et ne porte pas de mini-jupe, tu m'excuseras mais je ne rentre pas dans ses critères.
- Karima, pour la centième fois, ton ami ne m'intéresse pas, ni lui, ni aucun autre homme sur cette terre. Comme je l'ai dit à ma mère je prévois de rester avec ma solitude jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Elle pouffe de rire :
- Et tu feras des enfants comment ? Depuis que je te connais tu veux faire des gosses.
- J'ai enterré ce rêve. Je garderai les tiens, c'est suffisant.
Son sourire s'efface.
- Ah ben t'es pas pressée parce que faire des gosses c'est pas dans mes projets. Mais t'es sérieuse là ? Tu renonces à te remarier ? Toi ?
- Ouais.
- Et t'en as parlé à ton big boss ?
- Qui ça ? Mon père ? Maman lui dira.
- Non, Dieu.
- Ah, oui, oui.
- Mais tu vas faire quoi de ta vie si tu ne mets pas bas ?
- Très drôle ! Figure toi que la vie d'une femme peut tourner autour d'autre chose que des enfants ... Je vais faire du bénévolat, voyager et lancer ma chaîne youtube.
- Vraiment ?
- Oui, j'attends de refaire la peinture de l'appart. Une de mes collègues vend un appareil photo de très bonne qualité, pas très cher. Une fois que je serai équipée, je me lancerai.
- C'est génial, ça ! Je suis fière de toi ! Après ça ne t'empêche pas de rencontrer un homme et de te poser avec ...
- Karima ...
- OK, une étape après l'autre.
Elle dine à la maison. Une fois les pâtes bolo englouties, elle s'en va, une cigarette aux lèvres.
La vérité, la vraie, c'est qu'on n'enterre pas ses rêves si facilement. C'est juste qu'on cesse de se battre pour les réaliser parce qu'on sait que le prix à payer pour y croire est trop élevé. J'avais un plan de vie, j'avais des points d'ancrage, j'avais la foi, je faisais les choses du mieux que je pouvais et au final qu'est-ce que j'ai récolté ? Que des humiliations et ça, une vie de ... non, j'ai pas le droit de dire « de merde » parce que j'ai la santé grâce à Dieu mais c'est pas ce à quoi je rêvais.
*
J'ai trouvé un artisan pour la peinture de mon petit appart, une connaissance familiale d'une de mes collègues. Il n'est pas trop cher et je comprends pour quoi. Il est d'une lenteur folle. Il était censé finir il y a deux jours mais il passe sa vie à parler au téléphone. Je n'en peux plus, ça pue dans tout l'appart. Il reste le coin chambre à rafraichir et je suis à deux doigts de lui dire que je vais le faire mais je me contiens, comme d'habitude. Je ne sais pas m'énerver contre les gens, encore moins les gens plus âgés que moi. Ce monsieur a l'âge de mon père et même si je le paie pour une prestation de service, je n'ose pas lui mettre de coup de pression.
Je prends mon mal en patience sur un tabouret quand il m'annonce qu'il doit y aller.
- Mais il reste le coin chambre ! je lui fais remarquer.
- Oui, je viens dans week-end.
- Mais non ! Il faut finir ce soir.
- Non, mamoiselle, là c'est fatigué.
- Mais je vous ai payé monsieur ...
- Oui je vais faire, pas de problème, mais week-end.
- Samedi ou dimanche ?
- Dimanche soir.
Les bras m'en tombent. Pendant qu'il récupère ses affaires, j'appelle Karima pour qu'elle me donne une solution. C'est son truc à elle de mettre des coups de pression.
Elle est formelle :
- T'es conne Inès, depuis quand on paie un prestataire avant la prestation ?
- Il m'a dit qu'il en avait besoin pour payer les frais de scolarité de son gosse au bled.
- Rien à foutre ! Voilà pourquoi il te balade, il a eu sa thune, il n'en a plus rien à foutre de ton appart.
- C'est pas grave, je vais faire le coin chambre toute seule.
- Non, appelle ta collègue qu'elle mette un coup de pression au mec.
- Vas-y laisse tomber ...
- Tu vois où ça mène d'être trop gentille ?
Elle est encore plus énervée que moi. C'est vrai qu'elle a raison, je suis un peu couillonne. J'aurais dû lui donner la moitié de la somme pour commencer et le reste le dernier jour mais instinctivement je fais confiance aux gens quand ils sont les cheveux gris. Puis c'est le faux oncle d'une collègue, pour moi c'est comme la famille ... Je ronge mon frein. Dimanche soir arrivera vite. On est déjà mercredi après tout.
*- Tu peux me passer le pinceau ?
Je le lui tends en le surveillant. Les fenêtres sont bien ouvertes et mes yeux aussi. Erdem descend de l'escabeau et retire son t-shirt tacheté. En dessous il en a un autre. Heureusement.
Le blédard qui devait terminer la peinture de mon appart n'est jamais revenu. Ma collègue m'a dit qu'il avait eu un décès dans sa famille. Seul Dieu sait si c'est vrai... En attendant son retour je me retrouvais avec un coin archi propre et un autre dégueulasse, j'ai essayé de peindre mais ça rendait pas aussi bien, il faut un petit peu de technique alors j'ai demandé à Karima de me donner les coordonnées d'Erdem. Il a bien voulu me dépanner. Pour le remercier j'ai préparé un repas, des fajitas. Je voulais le payer mais il a refusé.
Je suis quelque peu mal à l'aise mais tellement soulagée de pouvoir enfin dire que mon appart est propre et habitable. Ça commençait à me taper sur le système cette fadesse.
Erdem se lave les mains puis me demande s'il peut
« plugguer » son téléphone.
- Le recharger tu veux dire ?
- Oui, pardon, j'étais à Londres la semaine dernière, je suis encore en mode franglish.
- Tu y as été pour le travail ?
- Exact, un reportage sur le Brexit.
Il m'explique un peu ce qu'il y a fait et se montre super enthousiaste. Moi de mon côté, je reste mal à l'aise. Je n'ai qu'une hâte c'est qu'il mange sa fajitas et se casse. Ce n'est pas méchant mais depuis que Karima m'a affirmé que je l'intéressais, je le vois comme un prédateur. Si je n'avais pas eu besoin d'un coup de main, je ne l'aurais jamais laissé entrer chez moi.
- Tu pars en vacances cet été, il me demande en s'asseyant sur le canapé avec son assiette.
- Non. J'ai plus de thunes. L'emménagement, les frais d'avocat...
- Ah oui ton divorce, il dit en hochant la tête. Ça avance ?
J'élude sa question et lui sert un verre de coca.
- Et toi ? Tu pars ? je dis pour meubler.
- Oui à Istanbul fin juillet.
- Cool.
- Je vais chez un oncle, enfin, oncle de dix ans de plus que moi... Je le vois plus comme un cousin. Il a une grande baraque. Il taffe dans la finance.
- C'est sympa.
- Karima et toi, vous pourriez venir.
- Pardon ?
- Je veux dire, si financièrement c'est pas top mais que tu veux changer d'air, je pourrais m'arranger avec mon oncle, il est très cool et la maison est vraiment grande. Vous n'auriez que votre billet à payer.
- Mais on ne se connait pas, je fais désarçonnée.
- C'est vrai mais je trouve ça dommage que tu ne partes pas en vacances juste pour une histoire de ... enfin, c'est pas ta faute si tu en es là. C'est une proposition, c'est tout. Ne le prends pas mal.
- C'est gentil mais ça va aller. Paris c'est bien aussi.
Il y a un blanc. Un long blanc. J'ai l'impression de l'avoir vexé mais il faut reconnaître que sa proposition est un peu culottée. Des vacances à Istanbul ? Chez son oncle ? Pourquoi pas dormir dans sa chambre tant qu'on y est !
Erdem change radicalement de sujet, on parle de voiture. J'en veux une, il me donne des conseils.Durant tout le dîner je reste choquée par sa proposition. Je le pensais pas si dalleux. Comme si c'était possible pour moi de lui dire " oui oui, je veux bien", quelle femme normale accepterait ?
C'est ambivalent, je me méfie beaucoup de lui, d'une parce que c'est un homme et de deux parce qu'il a l'air un peu éhonté mais c'est agréable de partager un petit repas avec quelqu'un de sympa. Il a de la conversation.Je crois que dans le fond le désir de solitude a ses limites ...
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Ce que femme veut
Fiction généraleInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...