La fête de fin d'année de la rédaction se trouve dans un restaurant du 14ème arrondissement. Bel endroit.
Ils ont privatisé le lieu pour l'évènement.
Après être passé me chercher chez moi Erdem m'a à nouveau briefé sur sa boss éhontée.- Elle va me coller une vieille bise baveuse, n'hésite pas à interférer. Dès qu'elle me touche, tu peux la démarrer !
J'opine du chef mais la vérité c'est que je suis fatiguée. Bizarrement, il y avait plus de clientes que d'habitude au Séphora aujourd'hui. Ce ne sont même pas les vacances scolaires. J'ai dû cavaler, ranger des rayonnages et encaisser des dizaines de clientes sans mes 30 minutes de pause habituelle. On était en sous effectif à cause de la grève et on tournait toutes comme des abeilles dans une ruche. L'horreur. Lessivée je suis rentrée chez moi, en faisant la moitié du chemin à pieds puisque ma ligne de métro est fermée en raison de la grève et je me suis douchée et changée en un temps record avant d'atterrir dans la voiture d'Erdem, encore plus exténuée. A l'heure actuelle, je m'en veux d'avoir accepté de l'aider, j'aurais préféré dormir, d'autant plus que demain aussi je travaille jusqu'à 16h suite à un changement de planning.
Je ne suis plus très sûre de pouvoir assister au mariage de Lara. Le sommeil m'importe bien plus que ma curiosité. Des mariages turcs j'en verrais d'autres, dans des films au pire.
On est en retard.
Le restaurant est plein à craquer quand on ouvre la porte, une tonne de trentenaires en New Balance échangent en dodelinant de la tête. Le look des journalistes me fascine, ils s'en battent les reins du glamour. J'ai sorti une robe pailletée et des escarpins, vidé la bouteille de Chanel et tout ça pour que dalle.
Tout le monde se la joue cool et décontracté. Erdem aussi est en baskets, il a mis des Stan Smith et a juste ajouté une veste à son style habituel.
On se faufile vers le fond de la salle, il salue des gens de la tête en me tenant par la main. Ce premier geste physique est étrange. Je ne suis pas gênée mais ça me fait quelque chose d'avoir ses doigts autour de ma main. Je le suis, coopérante. Mon but n'est que de le sortir d'affaire et de pouvoir manger. Oui. Surtout ça d'ailleurs; manger. J'ai terriblement faim.
J'ai déjeuné une petite salade, ce midi, j'ai les crocs de fou.
Karima est déjà au bar, avec ses collègues. Sa robe à poids sur le dos, une coupe de champagne à la main, elle parle retraite et aurores boréales. Erdem s'échappe, il doit saluer des gens. En m'apercevant Karima fait un grand geste de la main et me rejoint.
- Prête à jouer les fiancées possessives ? elle s'exclame en caressant mes cheveux, lissés pour l'occasion.
- Ouais. C'est toi qui lui as soufflé l'idée en plus ?
- Vite fait.
Ma meilleure amie n'a pas le temps de papoter, un collègue sans doute un peu pompette la tire par le bras et l'emmène sur la piste de danse. J'enfourne un petit-four au saumon dans ma bouche, pendant qu'Erdem continue son tour de salle. Il va voir chaque petit groupe de porteurs de New Balance. Le petit-four aux saumon fumé est bon, j'en prends un autre et un autre. Puis un autre. Je me gave comme une oie pendant une dizaine de minutes.
La bouche pleine je contemple Karima se déhancher sur du Angèle quand Erdem refait apparition.
- Tu veux boire quelque chose ?
Je hoche la tête.
- Quoi ?
- ...
- Coca ?
- Hum hum, je fais non de la tête.
- Sprite.
- Huuuuuuum, je hoche la tête." Tout oh ... faudrait tout oublier! Pour y croire, faudrait tout oublier ! "
Il sourit en s'exécutant. Je continue à me remplir la panse quand une femme très élégante s'approche de la table et me demande si les petits fours sont bons. Elle a la quarantaine bien tassée ou peut-être la cinquantaine. Lèvres refaites, regard bleu azur, petite jupe cintrée, ce doit être elle, la cougar. Mais je n'en suis pas sûre. J'essaie d'avaler vite. Elle enchaine :
- Joséphine Subberg.
- Inès.
- Vous travaillez avec nous ?
- Non, je suis ... Je suis une amie de Karima.
Je m'empare d'un couteau à beurre et tartine un morceau de pain.
- Et c'est accessoirement ma fiancée, ajoute Erdem en me tendant le verre de Sprite.
OK, donc c'est bien elle, la croqueuse d'hommes.
- Ah oui, je bégaie en souriant exagérément.
- Elle existe vraiment cette fiancée ? raille Joséphine en nous observant.
Erdem pose sa main sur ma taille.
- Oui, j'existe. Et je suis très jalouse, je précise. Ça me rend folle qu'il parle à d'autres femmes... Vous devez être pareille avec votre mari ...
- Ah mais il faudrait lui mettre la burqa pour qu'il ne fasse pas mouche celui-là, regardez-moi ces yeux de chat elle se moque en lui pinçant la joue.
Erdem grimace en me regardant.
- Non mais vraiment, je n'aime pas qu'on touche mon fiancé, je répète en agitant mon couteau.
- ... Je suis sa collègue, soupire Joséphine. On s'amuse, rien de plus, elle fait en suivant ma main des yeux.
- Ça ne m'amuse pas, je lance.
- Erdem pourrait être mon fils, si je l'avais eu à 23 ans, vous vous doutez bien qu'il n'y a rien de sérieux.
- C'est pas mon problème, j'éructe en me prenant pour une Leila Bekhti du pauvre, je n'aime pas qu'on le touche ou qu'on le colle de façon abusive. C'est mon côté ... femme du Sahara. Ce qui est à nous est à nous, je déclare en portant le couteau à mes lèvres.
- Erdem, m'est témoin, elle bafouille, je ne le colle jamais. Nous avons un rapport de travail sain. Hein Erdem ?
- ... Oui, oui, on peut dire ça. Mais c'est important que vous rencontriez ma fiancée. Tu lui as dit ton métier, chérie ? rigole Erdem.
- Non, je suis ... bouchère.
- Ah. Un joli métier, elle fait en prenant congés. Je vais rejoindre la compta ...
Joséphine semble très mal à l'aise.
Erdem, hilare, me remercie chaleureusement et dans un geste spontané encadre mon visage de ses mains et colle un baiser près de mes lèvres. Je marque un arrêt.
- Pardon, il fait rapidement. Pardon. C'est l'émotion.
- Tranquille.
Je m'écarte un peu de lui et bois une gorgée de Sprite mais je m'étrangle. Il s'empresse de me tapoter le dos.
- Ça va, je grommelle.
Karima qui a fini de s'agiter sur la piste intervient. Elle nous a vus parlé à Joséphine.
- Alors ça s'est bien passé ?
- Inès a été parfaite, soutient Erdem.
- Grande comédienne ? demande Karima.
- Excellente.
- On va fumer ?
Erdem accepte la proposition de ma meilleure amie, ils insistent pour que je les suive mais j'ai mieux à faire avec les petits fours.
Est-ce que je peux prétendre que ce petit dérapage de bouche ne m'a strictement rien fait ? Bien sûr que non.
Et c'est bien ça le problème.
La soirée risque d'être longue ...« On joue oooh, moi je ne sais pas jouer ! »
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Ce que femme veut
General FictionInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...