Karima nous a rejoint à Nation, en fin de soirée.
Engoncée dans un col roulé rouge, sa valise mauve trainante à la main, elle n'a pas perdu une minute et sans préambule nous a demandé ce qu'on faisait ensemble. Tous les deux. Si souriants.
- Rien, j'ai déclaré en cherchant confirmation dans les yeux d'Erdem.
- On manifeste, il a souligné.
- Molo l'image édulcorée du mec hétéro non violent... Depuis quand tu manifestes, toi ?
- C'est pour les femmes ..., j'ai fait timidement.
- Ouais, mais je t'aurais plus vu lors de la marche contre l'islamophobie, qu'ici. Après, c'est vrai que tu t'es pris quelques torgnoles par ton ex, ça fait sens.
Erdem m'a jeté un regard intrigué. J'ai détourné le yeux. Comme à son habitude, Karima a éclaté de rire après avoir balancé cette info ultra confidentielle.
Honteuse, je lui ai demandé comment s'était passé son voyage à Londres, avec enthousiasme elle nous a parlés de son british, de son appart minuscule pas loin de Picadilly Circus et de ses courbatures.
A nouveau j'ai changé de sujet en évoquant le climat. Je savais très bien où se terminerait cette conversation si je n'arrêtais pas ma meilleure amie. Guillerette Karima est allée saluer des collègues tandis qu' Erdem s'est absenté pour aller interviewer des militantes afroféministes. Comme une conne je me suis retrouvée seule au beau milieu de plusieurs groupes de manifestantes entonnant en chœur « ma philosophie » avec Amel Bent.
« Viser la lune, ça ne me fait pas peur ! »
Elles s'époumonaient en dansant, à l'aise dans leur corps. Moi, je les regardais. Droite comme un I.
Subitement, une gêne s'est emparée de moi et j'ai commencé à me dévaluer intérieurement. Pourquoi je n'arrive pas à vivre comme les femmes de mon âge ? La question m'a cogné le front comme la pancarte d'une militante pendant que je rejoignais Erdem près d'un banc. Il m'a fait signe de venir et mon coeur s'est mis à battre à tout rompre lorsque je l'ai aperçue près de lui. Un manteau en fausse fourrure sur le dos.
- Je te présente Lara, ma petite sœur.
Une jolie brune aux yeux aussi clairs que ceux d'Erdem m'a tapé la bise. Je l'ai brièvement reluquée, elle correspondait totalement à l'image que je me faisais d'elle : belle et très féminine.
- J'ai beaucoup entendu parlé de toi Inès, elle a souligné en m'observant.
- Ah oui ?
- Ouais.
Je m'attendais à ce qu'elle en dise plus, à ce qu'elle me pose des questions, mais elle s'est contentée de ce « ouais » énigmatique qui m'a plongé dans un mutisme coupable. On ne peut pas juste dire aux gens « je sais qui tu es » et basta. Il faut étayer, expliciter, avouer ! Erdem, s'absente à nouveau, un collègue veut lui montrer quelque chose.
Très vite j'apprends que Lara est chef de produit dans une boîte à la défense, elle est divorcée depuis un an, elle s'était mariée à 19 ans ... Plus tôt que moi. Elle a une fille de trois ans et c'est la meilleure amie d'Erdem. Ils se voient souvent et encore plus depuis qu'elle est divorcée. Il l'aide avec la petite et se montre très protecteur.
- Nur est dingue de lui.
Lara a précisé que son nouveau compagnon a même eu du mal à trouver sa place.
- Ah oui ?
- Oui, lui aussi il a un enfant pourtant, il est très paternel mais Nur est toujours collé à son oncle. C'est l'effet Erdem. Ça va s'estomper avec le mariage, je me dis.
- Tu te maries, j'ai postillonné.
- Oui bientôt.
- C'est génial.
- Génial, je ne sais pas, elle a dit froidement. C'est juste qu'il faut bien avancer. J'ai que 26 ans. Et toi ? T'as un enfant ?
- Non, pas du tout. Et je viens juste de divorcer...
- Erdem me l'a dit, elle a fait en me coupant la parole. C'est dommage que t'aies pas eu un enfant avec ton ex-mari. Un mariage qui se termine sans enfant c'est triste.
Je n'ai pas saisi si sa phrase était volontairement blessante ou volontairement idiote.
- Je ne regrette pas, j'ai dit en la dévisageant. C'est Dieu qui donne. C'est le destin.
- Oui c'est vrai. Mais t'as perdu du temps. Tandis qu'avec un enfant, au moins t'aurais gagné quelque chose.
- Je ne vois pas les choses de cette façon, j'ai rétorqué sèchement. C'est vrai qu'un enfant ça aurait rendu la situation plus facile à vivre mais en même temps j'aurais dû être en contact avec mon ex toute ma vie, tandis que là, je suis libre.
- Tu ne revois pas ton ex, elle a demandé surprise.
- Ben non.
Erdem est revenu nous rejoindre, son appareil photo à la main.
- Vous avez pu faire connaissance ?
- Grave, a répondu Lara en m'observant.
On a bavardé encore une demi-heure, Karima est venue monopoliser la conversation puis Erdem est reparti en voiture avec sa sœur. Ils dinaient chez leurs parents.
Ma meilleure amie et moi quant à nous avons diné dans une brasserie du quartier. Devant mon plat de cabillaud et de riz je lui ai confié mon pressentiment :
- J'ai l'impression que la sœur d'Erdem est venue me tester et que j'ai échoué.
- Tester pourquoi, vous ne sortez même pas ensemble.
- Justement c'est ça qu'est bizarre. Elle m'a posé des tas de questions en mode sous-marin.
- Tu te fais des films, je pense.
- Peut-être ... En tout cas, elle ne m'aime pas, c'est évident.
- Caliméro, chapter 2.
- Karima, je suis sérieuse, j'ai éructé, elle m'a posé des questions un peu méchantes, style « t'as un enfant » ?
- Ah oui c'est très méchant elle s'est exclamée en dévorant une frite.
- Non mais ce que je veux dire c'est qu'elle a essayé de me piquer. C'est un truc que font les femmes mariées entre elles, ou les divorcées entre elles, style « ma situation est mieux que la tienne », tu vois ?
- Elle ne sait pas qu'avec le réchauffement climatique, faire un gosse c'est suicidaire. Laisse tomber! Mais son manteau Zara était joli en revanche.
- ... J'espère juste que ça ne va pas éloigner Erdem, j'ai confié un peu inquiète.Karima a poussé un cri d'étonnement.
- Tu le kiffes ?
- Non, c'est pas ça, mais je l'aime bien. En ton absence, il s'est montré très présent. C'est un bon ami.
- L'amitié homme hétéro-femme hétéro n'existe pas ya benthi, elle a déclaré avec un fort accent algérien.
- Tais-toi.
On a terminé nos plats et sommes allées chez elle boire un thé. Je me suis refait le film à plusieurs reprises. Lara a été si froide avec moi.
En rentrant dans mon nid douillet aux alentours de minuit j'ai envoyé un message à Erdem pour prendre la température.
« On se fait un goûter au Starbucks demain ? » Il a répondu dans la minutes qu'il avait plusieurs articles à terminer.
Depuis notre rencontre Erdem ne m'avait jamais dit non.
Je le sentais.
Voilà, je le sentais.
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Ce que femme veut
Ficção GeralInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...