Ce que femme veut - Part 36 - Réanimation

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« C'est un chien. Il l'a fait exprès. »
Karima n'y va pas de main morte avec Yanis. En facetime, je lui explique le dernier coup de traître de mon ex et l'impact que ça a sur mon humeur.
Je ne vais pas mentir, ça ne va plus aussi bien. C'est comme si j'avais refait 25 pas en arrière et que je redevenais l'Inès morose et craintive que j'étais après notre rupture. Je ne m'étais jamais posée la question de l'effet que me ferait la naissance de cet enfant. Il était hors du champ, c'était un artisan invisible de notre terrible rupture. Invisible et innocent. Le savoir sur terre, ça rend tout plus concret, plus irrévocable. ça me bousille et en même temps je m'en veux de replonger dans mes travers alors que j'ai évolué de mon côté et que je devrais me concentrer sur Erdem.
- Dis-lui, crache soudainement Karima en éloignant l'écran de son visage pour expirer une volute de fumée.
- De quoi ?
- A Erdem. Dis-lui ce que tu ressens.
- T'es folle ? Je lui demande choquée.
- Sa sœur pense que t'es encore en kiffe sur ton ex et toi tu te renfermes parce que t'apprends que ton ex a eu un gosse. Excuse-moi mais mieux vaut passer aux aveux.
- Et s'il le prend mal ?
- C'est toujours mieux que de se demander s'il est un bon coup.
- Mais...
- Y a pas de « mais » elle m'a interrompu. Il n'y a rien de mieux que l'honnêteté dans la vie. T'as le droit d'être chamboulée. T'es un être humain et ce gros porc de Yanis a été ton premier amour! Si Erdem n'arrive pas à comprendre ça, qu'il décale. C'est qu'il ne te mérite pas.
- Mais on l'a fait, Karima, je ne veux pas le perdre.
- Et alors ? Vous avez juste couché ensemble, vous n'êtes pas cimentés. S'il n'est pas à la hauteur tu peux toujours le jeter. Libertad, meuf !

Comme à son habitude, elle m'a vanté les mérites de la liberté pleine et totale. En plein confinement, elle est plus que jamais résolue à vivre pleine sa liberté sentimentale et m'incite à faire pareil. Je l'ai écouté jouer la Marianne basanée et l'ai remercié pour ses précieux conseils. Avant de raccrocher elle m'a dit :

- Demande-toi toujours ce que TU veux et pas ce qu'il faut faire pour que les autres soient satisfaits ou soulagés. T'es une femme pas un laxatif.

Bizarrement cette dernière phrase a résonné dans mon crâne avec beaucoup plus de force que des centaines de discours tenus par ma meilleure amie.
Je me suis douchée fébrile puis me suis dirigée vers la cuisine pour préparer le dîner.
J'ai lancé une playlist et me suis mise à me trémousser en coupant des concombres.

"If I no get today, I go get am tomorrow"

Yanis aimait beaucoup ce style de sons afros et on les écoutait ensemble en voiture. J'aurais dû me douter qu'il finirait avec une meuf qui a du rythme, lui qui sait à peine danser.
Alors que je retrouve peu à peu une tension artérielle normale, Erdem revient des courses. Il a été faire le plein. Je l'en avais déconseillé, il aurait dû rester en quarantaine totale mais raisonner un Turc qui veut prendre l'air et passer chez lui récupérer de la sape, c'est quasi impossible. Les bras chargés il dépose des sacs Auchan près du comptoir. Je baisse aussitôt le volume de mon iPhone et le remercie.
Il part déposer son sac de sport remplis de vêtements dans la chambre et revient les mains mouillées dans la cuisine. Il les sèche avec un torchon puis se racle la gorge.
- Je fais une salade avec du poulet et des frites. Ça te va ?
- Parfait, il dit brièvement.
- Erdem, je ...
Il me fait signe d'attendre une minute. Il échange au téléphone avec quelqu'un. C'est court. Je vois à son visage qu'il ne vient pas de recevoir une très bonne nouvelle. Je l'interroge. Ses parents vont bien ?
- Les miens ouais, grâce à Dieu.
- Comment ça ?
- La mère de Fidan est en réanimation.
L'espace d'un instant, j'oublie que cette femme est son ex, j'ai de la peine pour elle. Rien n'égale des parents, elle doit être en bad total.
- Merde, je m'écrie. Mais ça va aller, non ?
- Ben pas trop... Elle a une santé fragile, c'est pas dit qu'elle survive à ça...
- C'est ta sœur qui t'a averti ?
- Non, c'est un cousin de Fidan.
Il m'a parlé de cette dame douce et pieuse en faisant les cents pas dans ma mini-cuisine.
Il est préoccupé, très préoccupé.
- Tu te rends compte, il me répète plusieurs fois ? Ce virus est en train de niquer des milliers de vies, des milliers de famille.
Et d'un coup ça m'énerve que ça le mette dans un tel état. Certes, il connait cette dame et ça l'attriste mais koulchi bel mektoub, il ne devrait pas être aussi touché. Au risque de paraitre insensible je me demande s'il a de la peine pour la sexagénaire ou pour son ex. Puis ce cousin, pourquoi il l'informe déjà? Erdem est journaliste, pas pneumologue, pourquoi il l'avertit alors que la dame est encore de ce monde?
Je me dégoûte un peu de penser comme ça mais je n'arrive pas à me contrôler et c'est comme s'il ressentait ma rage car il affirme :
- Va pas t'imaginer des choses. Ça me fait juste de la peine pour la daronne.
- J'en doute pas, je crache avec amertume.
- Tu voulais me dire quelque chose avant que je ne décroche, il interroge.
- Non... Juste que j'ai eu Karima au téléphone et qu'elle te passe le bonjour, je mens.

J'allais tout lui dire pour le texto de Yanis et l'effet qu'il a eu sur moi mais je n'en ai plus envie. Il n'a pas été honnête avec moi lorsqu'il a prétendu avoir de la peine que pour la daronne, je ne vois pas pourquoi je le serai avec lui.
C'est ridicule. Son passé et le mien prennent toujours le dessus sur notre futur en commun. On dirait qu'on est voués à s'éloigner à chaque fois qu'on se rapproche un peu.
Puis je suis jalouse, jalouse de la place que cette femme a encore dans sa vie. Je ne sais pas si je vais pouvoir supporter cette situation encore longtemps.
Je remets tout en doute même mes sentiments.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant