Ce que femme veut - Part 25 - Le prince charmant n'existe pas

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Mon tajine n'était pas raté mais il n'était pas savoureux non plus. J'ai dû me foirer sur la cuisson. Je suis plutôt bonne cuisinière d'habitude mais j'avais la tête ailleurs vendredi.
Ma cousine Hanane, la fille de la sœur de ma mère m'a annoncé sa grossesse. Elle a 23 ans. On a grandi ensemble et je ne vais pas le nier on a toujours été mises en concurrence malgré nos trois d'écart. Je suppose que j'ai du intégrer cette concurrence au point de me réjouir plus que de raison quand un truc bien m'arrivait : mon diplôme de maquilleuse, mon premier CDI, mes fiançailles, mon emménagement en île de France... et j'en passe. Puis une fois mariée, j'ai cessé de me préoccuper de son évolution. Pour moi, j'avais atteint le sommet de la montagne sauf que ... non. Hanane s'est mariée très jeune et m'a vite « rattrapée ». Bizarrement, c'était cool d'en être au même point, elle vivait dans le fin fond du 77 avec son Algérois mais on organisait des dîners de couple et on likait nos photos respectives sur Insta.
Quand j'ai divorcé, j'ai perdu toute son estime. Elle a eu vent de l'affaire par sa mère et m'a envoyé ce message laconique : « Que Dieu te fasse grâce d'un deuxième mariage solide. Courage. » puis plus aucune news. Je l'ai appelé, j'ai continué à liker ses photos sur Insta mais rien, silence radio. J'ai cherché un peu de réconfort chez un membre féminin de ma famille, moi la meuf un peu solitaire. Même si je n'ai aucun lien d'amitié avec mes belles-sœurs et mes autres cousines, Hanane avait conquis le statut « d'amie chelou » et malgré une grosse dose d'hypocrisie des deux côtés, on se tapait de bonnes barres. Elle constituait la part de Karima qui n'existera sans doute jamais : femme mariée, pudique et un peu coincée du cul, comme moi. On a quasiment reçu la même éducation et comme moi elle n'a que des frères. On se complétait bien. Vendredi midi, pour la première fois depuis mon divorce, elle m'a envoyé un message whatsApp pour m'annoncer la bonne nouvelle : « Coucou Inès, un petit message pour prendre de tes nouvelles et te dire que j'entame mon 4ème mois de grossesse grâce à Dieu. J'espère te présenter une petite merveille en juin prochain. A bientôt. »
Comme ça, sans vraiment savoir si j'allais bien, si la séparation ne m'avait pas anéantie, sans les usages de base ! Je mentirai si je disais que cette information ne m'a pas cassé le moral. En soit, évidemment que je suis contente pour elle, comme je serai contente pour n'importe quelle femme qui crève d'envie d'enfanter, mais le truc c'est que je connais Hanane, elle ne m'a pas seulement annoncé sa grossesse, elle m'a susurré : « regarde, je suis définitivement mieux que toi. Je sais garder un homme et en plus je sais faire des gosses. » C'est idiot de penser ça, on ne fait pas la course et encore moins pour ce genre de choses, c'est pas un meuble ni une voiture, un enfant, mais la vérité c'est que j'ai grandi dans cette toxicité. On juge les parents sur la réussite des enfants, on s'en fout un peu que ça n'ait pas de sens ou que l'enfant ne soit pas super heureux, l'essentiel c'est de montrer qu'on a rempli toutes les cases et pour une femme, la case la plus importante ce n'est ni le métier, ni le permis, ni l'appart acheté avant 30 ans, mais bien le mariage. Encore une fois, mes parents ont 70 ans aujourd'hui, ils m'ont eu tard et ont fait ce qu'ils ont pu, je ne vais pas leur jeter la pierre. Mais ça fait franchement chier d'envier ma cousine de 23 ans parce qu'elle est enceinte de son mec. C'est la preuve d'un dysfonctionnement dans notre mode de vie. On méprise les femmes qui n'enfantent pas ou qui ne sont pas casées et celles qui remplissent toutes les cases voient leur progéniture comme un signe de triomphe. Or il y a rien de glorieux à faire des enfants. C'est un accomplissement que si on est prêts à éduquer un être à devenir un adulte heureux. Mais ça demande de l'investissement et une disponibilité émotionnelle que tout le monde n'a pas. Plus je m'enfonce dans le célibat post-divorce et plus je me demande si on est toutes faites pour le mariage et les bébés ? Karima n'a peut-être pas tort, il y a sans doute du bonheur autre part que dans des trompes de Fallope pleines.
Si ma mère m'entendait dire ça, elle pleurerait.
Elle ne considère pas mes neveux et nièces comme de vrais petits-enfants, elle me dit souvent :
« Tant que ma fille n'aura pas d'enfant, je ne serai pas grand-mère. » Ce qui est très grave comme affirmation mais pour elle, dans sa vision des choses, les enfants sont l'héritage de la mère et de la grand-mère, tandis que les enfants d'un fils demeurent étrangers.
Dans notre famille, on est très froids les uns avec les autres sans qu'il y ait de véritables litiges. Mes frères sont très proches, ils ont deux ans d'écart, le même style de vie, la même mentalité et moi je suis à part, souvent j'ai l'impression d'être fille unique. On s'appelle peu, on ne se voit quasiment pas, si je suis dans la merde, ils m'aideront mais autrement c'est un peu chacun pour soi, un Dieu pour tous. Encore plus depuis que les parents sont retournés au bled. Je ne dirai pas qu'on ne s'aime pas, c'est juste qu'ils ont vécu des drames que je n'ai pas vécu, qu'ils ont eu des responsabilités que je n'ai pas eu et qu'ils n'ont jamais vraiment validés mes choix. Yanis, ils ne s'y intéressaient pas, mon métier de maquilleuse, non plus et mes amies enfin Karima, ils ne l'aiment pas. Ce qui nous rapproche de temps en temps hormis les parents, c'est leurs enfants, parce que j'aime bien ça mais leurs femmes non plus ne sont pas tendres avec moi. Celle de mon frère aîné, c'est la pire, une vraie peste.
Enfin bon, tout ça pour dire qu'Hanane est le seul membre de ma famille de sang que de laquelle j'étais proche. J'ai bien évidemment répondu à son message et l'ai félicité.
En sortant du taf, j'ai ruminé et arrivé chez moi j'ai lâché une larme en enfilant mon tablier.
Inéluctablement j'ai foiré le tagine.
Erdem est arrivé avec une baguette et des bouteilles de jus. Gentleman il n'a pas relevé le goût âcre de ma sauce et on a dîné sur ma petite table basse, nos fesses sur des coussins.
On a brassé plusieurs sujets pendant une heure puis il m'a dit :
- Alors qu'est-ce que tu veux me dire ?
- La vérité.
- C'est quoi la vérité, il a demandé en fronçant les sourcils.
- Je suis malheureuse. Je pense toujours à mon ex et j'envie le bonheur conjugal des autres ... Alors oui j'adore passer des moments avec toi mais t'es tellement aux antipodes de ce que je recherche chez un homme, que j'ai le sentiment de foncer droit dans le mur et de perdre du temps. Tu me fais peur, t'es libre, t'es indépendant, t'es journaliste ... On poursuit pas les mêmes rêves. Moi je veux juste me poser, avoir des gosses et devenir maquilleuse professionnelle, tu vois ? Je suis une meuf simple et j'ai des désirs basiques. Je peux pas me lancer dans une nouvelle histoire sans garantie. C'est trop tôt, trop douloureux ... En fait, je suis... Je fais plus confiance aux hommes.
Il m'a écouté religieusement puis il a déclaré :
- Fidan m'a quitté quelques mois avant notre mariage pour se marier avec un autre mec. Tu crois que j'ai totalement confiance aux femmes ? Toi aussi tu me fais peur, t'es instable, t'es fragile, t'es compliquée... Je pourrais te mito en te disant, vas-y c'est sûr que dans un an je te marie, mais on ne peut jamais donner de garantie à quelqu'un, tout ce qu'on peut se donner c'est du respect. L'attraction entre nous, même si elle est imprévisible, elle est réelle. Tu peux pas le nier. Donc on a deux solutions, soit on arrête tout, soit on essaie mais faire semblant d'être potes ça rime à rien.
- ...
- Inès, je sais que t'es flippée mais rien n'arrive par hasard dans la vie, tu rentres dans la vie des gens pour leur donner une leçon ou pour leur apporter du bonheur. Alors oui on est différents mais dans l'amour la ressemblance ce n'est pas un critère obligatoire.
- Je le sais.
- Ben lâche prise, alors.
Je l'ai regardé dans le fond des yeux, j'y ai vu de la sincérité mais toutes mes peurs criaient : « meuf, cède pas ! »
On a continué à discuter à cœur ouvert pendant une demi-heure jusqu'à ce qu'un blanc se prolonge, en reprenant une bouchée du tagine, il s'est écrié :
- Elle est vraiment dégueu ta sauce !
J'ai explosé de rire en lui faisant remarquer qu'il a mangé la moitié du plat avant de le remarquer.
- J'avais faim.
- T'es grave mauvais.
- Franc.
- Mauvais, je me suis démenée pour toi !
- Et qu'est-ce que je fais moi depuis six mois ?
- Tu apprends à me connaître.
- Ah mais là, je te connais bien.
- De nos jours, on sort avec des gens, juste parce qu'ils sont beaux ou pour le sexe, j'ai craché. C'est mieux de revenir aux bases qui sont de devenir amis, apprendre à se connaître sans arrière-pensée, je trouve ça beau, pur.
- Oui, c'est mignon mais tu vas pas fréquenter quatre ans une personne alors que tu sais que ça peut matcher. On n'est pas immortels non plus et on n'a plus 15 ans.
En ramenant les desserts, des tiramisus, on a conclu la conversation :
- Je sais que t'auras besoin de patience et de compréhension, il a affirmé. Comme moi j'aurai besoin de preuve et de loyauté. On arrive dans des relations neuves avec nos anciens bagages, t'as vécu une trahison et une rupture, moi aussi j'ai vécu une trahison et je dirais même une grosse humiliation et ça fait de nous ce qu'on est maintenant mais on n'est pas obligés d'être déterminés par nos souffrances. On peut retenter des trucs, prendre des risques, y croire.
- Ouais je sais.
- Je suis sûr que tu me connais dix fois mieux que tu connaissais ton ex avant de l'épouser.
- Ben c'est sûr que je ne suis pas partie en vacances avec lui pendant la fréquentation!
- Tu vois ...
- Le truc Erdem, c'est que je suis entière, quand j'aime c'est vraiment, t'es sûr que c'est ce que tu veux expérimenter ? j'ai déclaré solennellement.
- Je donne pas à moitié non plus.
- T'es prêt à sortir avec une go méfiante, blessée, insecure et j'en passe ?
- En fait je suis prêt à sortir avec Inès.
- Arrête les violons s'teuplait, j'ai dit en souriant.
- C'est une vérité, t'insistes sur des trucs qui sont évidents. Tu ne me vends pas du rêve Inès. Tu mets plus en avant tes défauts et des lacunes qu'autre chose donc si je te fais comprendre que tu m'intéresses vraiment c'est pas parce que tu fais la belle et que t'as des airs de princesse.
- Sympa.
- Je suis franc. T'essaies par tous les moyens de me casser mais je te le dis, je suis vraiment intéressé, mais je suis pas indécrottable, à force de me rejeter, je finirai sans doute par me lasser et mon égo en prendra un coup.
- Le prince charmant, il s'est battu pour retrouver Cendrillon.
- Ouais mais le prince charmant il n'existe pas. J'ai pas de château à t'offrir.
- ...
- On est dans la vraie vie, avec des vrais gens, des vrais sentiments mais pas de promesse. C'est les menteurs qui promettent, les mecs francs ils font juste ce qu'ils peuvent.

On s'est regardés quelques instants puis il m'a rejointe. On s'est embrassés, le premier baiser.
La vraie vie, de vrais gens, de vrais sentiments, un vrai baiser...

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