Un soupçon de honte ou du temps en trop ? Erdem a fini par me répondre, quelques heures après. Il comptait m'inviter, il est débordé en ce moment mais il espère que je vais bien. J'ai bu ses paroles avec difficulté. Mais même si j'en crevais d'envie, je ne l'ai pas appelé. Je suppose qu'il a ses raisons, s'il change d'attitude du jour au lendemain, ce n'est sans doute pas pour rien... Ça me gave mais tant pis. J'ai d'autres chats à fouetter, ma vidéo a atteint les 5000 vues. Je suis en joie! 5000 personnes m'ont vu me maquiller, c'est énorme! Karima m'a fait pas mal de pub, je pense que ça doit jouer puis le fait de parler de ma vie privée y est peut-être pour quelque chose.
Je commence à voir les choses en grand, je m'imagine faire une storytime sur mon emménagement à Paris et toutes les péripéties que j'ai vécues quand j'ai débarqué, tout en me maquillant. S'il faut se livrer un peu pour gagner des vues, je suis prête à jouer le jeu.
Tandis que j'installe mes lumières et mes plumeaux pour tourner on sonne à la porte. Pourtant je n'attends personne. En enfilant mon peignoir, l'idée m'effleure, serait-ce lui?
- Salut. Je ne te dérange pas ?
Emmitouflé dans sa doudoune il souffle dans ses mains sur le palier.
- Qu'est-ce qui se passe ? Je demande agacée.
- Je peux ... Entrer ?
Je me décale pour qu'il entre. Il retire sa doudoune en observant l'installation dans le salon.
- C'est pour tes vidéos youtube ? Il fait intrigué.
Je hoche la tête.
- Je te dérange, alors, t'allais tourner ?
- Non, ça va, tu ne vas pas rester longtemps de toute façon, j'affirme en dépliant mes manches.
Je porte un jogging et un haut en col V en dessous. Je ne suis pas très à l'aise d'être vue dans cet accoutrement.
Erdem me dévisage en venant s'asseoir sur le fauteuil à ma gauche. J'avais oublié son regard perçant. Il s'excuse rapidement d'avoir été si absent la semaine dernière, il avait une montagne de boulots et des choses personnelles à régler. Il sait que ça m'a vexé et souligne qu'à ma place il aurait eu la même froideur que j'ai en ce moment.
- Je ne suis pas froide, je fais, cernée par sa clairvoyance, je suis juste blasée. On se connait depuis quelques mois, je pensais que tu étais quelqu'un d'honnête ...
- Je le suis, il fait en me fixant.
- OK, ben ne me raconte pas de salade. C'est ta sœur qui ne m'aime pas.
- Quoi ? Il bégaie. Qu'est-ce que ma sœur à avoir là-dedans?
- A la manif, elle m'a taillé à plusieurs reprises et bizarrement, c'est après cette rencontre que t'as plus été capable de répondre à mes textos ni de te rendre dispo à un rdv. C'est bizarre.
- Lara ne m'a rien dit sur toi. Elle a même proposé de t'inviter au mariage ... Et même si elle avait dit des choses sur toi, qu'est-ce que ça aurait changé puisqu'on est justes amis toi et moi ?
Je détourne le regard. Il marque un point.
- Je dis juste qu'en amitié on se doit aussi d'être honnête. Je vais pas le nier, je me suis habituée à ta présence et ton silence radio m'a fait de la peine. J'ai pas envie d'avoir de courant d'air dans ma vie. Soit t'es là, soit tu t'en vas, mais les gens indécis, c'est plus pour moi. Je dois déjà colmater les brèches de mon divorce, j'ai besoin de stabilité. D'amis sûrs, de projets concrets, de vraies choses.
- C'est pour ça que je suis là, il fait en prenant une grande inspiration. J'ai senti que je t'avais blessé. Et je m'en excuse.
- On s'excuse pas de quelque chose, on présente ses excuses, je l'ai corrigé.
- OK, je te présente mes excuses.
- Elles ne sont pas top. Je ne sais pas si je vais les accepter, je dis en me moquant.
- T'as intérêt parce que j'ai un service à te demander!
Je me dirige vers la cuisine et reviens avec deux verres et de l'Oasis. Tandis que je le sers, je le traite de profiteur.
- Tout s'explique, tu viens jusque chez moi, parce que t'as besoin de moi.
- En fait, j'ai menti à quelqu'un ... Il avoue en prenant une gorgée. Il se racle la gorge et continue, l'une de mes collègues, comment dire, dans tous les tafs, y a un collègue un peu taré qui te drague lourdement ... Tu vois ce que je veux dire ?
- Je travaille qu'avec des meufs et des homos donc non, pas trop.
- Bon, à la rédaction une journaliste très reconnue me drague depuis deux ans, elle a 50 piges et c'était flatteur au début, mais elle repousse de plus en plus les limites, elle veut me soulever quoi et la dernière fois j'ai paniqué, j'ai fait le fragile, elle m'a assuré qu'elle danserait un zouk avec moi à la fête de fin d 'année et que je ne pourrais pas lui échapper. Je lui ai dit qu'on ne pourrait pas danser ensemble parce que cette année...
- Mais Erdem, t'es un homme, non ? Je l'interromps en m'esclaffant. Si une femme te fait du rentre dedans tu la remets gentiment à sa place.
- J'ai essayé toutes les techniques. Gentil, ferme, indifférent. Elle a la dalle, elle est réputée pour ça, elle aime les petits jeunes, typés méditerranéens, c'est un jeu pour elle ... Et quand je te dis qu'elle est bien placée au sein de la boîte, je mens pas. Puis c'est compliqué parce que professionnellement, elle est vraiment bonne. J'apprends pas mal d'elle, quand elle agite pas ses bzezs sous mon nez.
- OK...
- Du coup, comme toute la boîte est tacitement obligée de venir à la fête de fin d'année qui aura lieu vendredi soir, j'ai prétendu que cette année je viendrais avec ma fiancée.
J'éclate de rire.
- Ris pas, c'est grave d'en arriver là pour ne pas se faire graille par sa boss, il assure.
- Et donc c'est moi la fiancée ?
- Ben j'ai parlé d'une Inès ... Et comme tu t'appelles Inès, il raille, tu pourrais faire l'affaire ...
- T'as mis Karima dans la confidence ?
- C'est elle qui m'a soufflé l'idée à vrai dire.
- J'en étais sûre !
- Je veux juste que tu viennes et que tu fasses croire qu'on est ensemble et que t'es un peu jalouse et hystérique. T'as juste à être rebeu quoi. Toi-même.
Je lui balance un coussin.
- Et j'y gagne quoi ?
- De la bonne bouffe, une soirée avec un homme extraordinaire et une invitation au mariage de ma sœur, le lendemain.
- ...
- Tu veux quoi ? De l'argent ?
- Pardon ? Tu m'as prise pour une escort ?
- Non mais si tu veux être rémunérée ça ne me dérange pas...
- Tant qu'il y a juste à paraître ça ne me dérange pas. Juste pas de trucs bizarres.
- Genre quoi ? Une main sur les fesses ?
- Ouais, voilà.
- T'inquiète Inès, je sais qu'on est juste amis, il grimace.On peaufine les détails de cette soirée et j'exulte intérieurement. Je suis contente qu'il soit de retour et j'ai hâte d'assister au mariage de sa sœur. Je n'ai jamais vu de mariage turc.
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Ce que femme veut
Narrativa generaleInès est folle amoureuse de son mari mais lui non. Alors elle s'élance d'un pas ferme vers le manque d'estime, l'adultère, la peur puis le divorce. Au bout de ce chemin elle pourrait peut-être se trouver, elle qui se connait si peu ...