8 - Black friday

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Le carmin était devenu brun à plusieurs endroits de la toile. La réserve n'était que faiblement éclairée mais Léo remarquai la différence, l'indéniable passage du temps.

Il était tard et la porte était verrouillée. Le professeur ne se cachait plus, il saisit une bouteille cachée derrière une pile de livres et but à même le goulot. Léo essuya le bord de sa lèvre puis avança vers la grande toile dans le fond de la pièce. Il s'arrêta à quelques centimètres et observa encore un instant les teintes en constante évolution. Léo ferma les yeux et inspira profondément en posant délicatement son front contre la toile souple. Ses doigts s'articulèrent sur la monture et son index rencontra le papier écorné d'une lettre dissimulée dans le châssis. La lettre.

Léo tira un tabouret et s'assit tout en dépliant le papier usé par le temps et le sang. Il ne lisait plus le texte qu'il connaissait par cœur, il regardait simplement les courbes, accents et points qui formaient les mots de Sy.

Léo,

J'ai choisi. Après avoir fait bataille, j'ai choisi la meilleure option : ton bonheur. Je pars. Seule. Car je ne sais pas comment te rendre heureux comme toi tu peux me faire sentir si bien en ta présence.

Tu m'as posé sur un pied d'estale, tu m'as canonisé avant même de me connaitre. Mais la vérité est que tu ne me mérites pas. Tu ne mérites pas mes problèmes, mes secrets et mon passé si présent. Tu ne mérites pas d'aller en prison ou risquer la mort seulement parce que tu es tombé amoureux de la mauvaise personne.

Je veux ton bonheur parce que je t'aime. Je t'aimerai jusqu'à la mort, et peut-être même après. Et parce que ce sentiment ne partira jamais, je dois disparaître. Je dois m'effacer de ta vie et devenir, je l'espère, un doux souvenir lorsque tu songeras à moi auprès de ta femme et tes enfants.

Léo, tu as le droit de me détester, tu as le droit de ne pas comprendre ma décision, tu as surtout le droit à l'insouciance d'aimer et d'être aimé en retour, aux yeux de tous.

Honnêtement, je ne sais pas comment je vais pouvoir survivre sans toi. Peut-être pas longtemps. Mais il faut que j'essaye, que je te laisse une chance. Malgré tout, je pense qu'égoïstement, une partie de moi voudra rester près de toi : Mon coeur pour qu'il puisse continuer de battre, mon sang pour qu'il puisse encore couler dans mes veines. Je vivrai à travers toi, pour toi, uniquement et fidèlement.

La muse à son peintre.

Sa tête tournait. L'alcool avait enfin réussi à lui faire ressentir autre chose que cette lame glacée dans sa poitrine. Léo but une nouvelle gorgée avant de ranger la lettre à sa place. Le prof d'art cacha la bouteille en décidant de continuer la fête une fois chez lui. Il vérifia son apparence dans un petit miroir posé sur l'étagère maintenant réparée. Léo écarta ses cheveux de la cicatrice près de son front. Le bleu jaune autour de la plaie lui rappellait ses hématomes après son accident de moto mais très vite son esprit ne voyait plus que les traces sur les poignets et le cou de Sybille ce funeste jour. Léo n'avait jamais eu d'explications sur leurs provenances ni leur auteur.

Une nausée s'associa aux étourdissements du professeur. Léo sortit son téléphone et le porta à l'oreille.

Bonjour, vous êtes bien sur le téléphone de Sybille Valmont. Je ne peux pas vous répondre pour le moment mais laissez-moi un message et je vous rappellerai.

Bip.

Léo entendait son propre souffle filtré dans le combiné. Il s'évertuait à écouter cet étrange écho en imaginant avoir une réponse. Plus il fantasmait Sy à l'autre bout du fil plus il la voyait là, debout au milieu de sa réserve.

L'art de la Nudité - tome III {Terminé}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant