L'art de la Nudité - tome III {Terminé}

10 - Complicité Complexe

Léo estompait le crayon sur le papier grâce à la pulpe de son pouce. Très vite le noir tacha ses doigts et son dessin devint illisible. Ce n'était plus qu'une grosse tache sombre sur le papier blanc. Il tentait de marquer certains détails, quelques traits qui pourraient justifier son sujet mais Léo ne faisait qu'agrandir le désastre.

Il ne fallait pas insister. Malgré tous ses efforts le sujet restait dans l'ombre de cet immense gâchis.

Il allait froisser puis jeter son dessin lorsque une pression sur son épaule le retint. Léo posa son crayon et inspira une bouffée de ce parfum qu'il imaginait une nouvelle fois dans ses bras. Il ne bougeait plus en espérant que cette silhouette qui se blottissait contre lui ne s'évapore pas tout de suite. Malheureusement un cognement à sa porte chassa la rêverie.

Léo ouvrit la porte en maudissant l'intrus. Ben lui lança un sourire embarrassé quand il entra dans l'appartement en désordre.

_Tu m'évites ? demanda son ami.

Léo le dévisagea en se demandant à quel moment Ben faisait allusion. Parlait-il du fait qu'il rebroussait chemin à chaque fois qu'il le croisait dans les couloirs du lycée ? Ou était-ce parce qu'il ne répondait à aucun de ses textos ?

_Pas du tout. Comment va Mathilde ? dit-il pour changer de sujet.

Ce fut à Ben de le toiser. Le prof de maths remarqua vite la dizaine de bouteilles de bière vides aux quatre coins de l'appartement et un verre encore rempli de wiskey.

_Tu sais bien qu'elle m'a quitté.

Léo leva les sourcils sans autres considérations et saisit un paquet de cigarettes dans la cuisine. Découvrant qu'il était vide, le prof d'art fouilla les poches de sa veste posée sur son fauteuil.

_Est-ce qu'on peut en parler ? demanda doucement Ben.

_De quoi ? ricana-t-il, mon pote, j'ai aucune envie d'entendre tes problèmes de cœur. Je suis pas un foutu psy.

_Non, mais c'est à cause de toi que j'ai dû lui mentir. C'est toi qui...

_Eh, le stoppa Léo, ne m'inclus pas dans tes drames ! J'ai déjà les miens à gérer.

_Justement ! s'emporta Ben, il est temps que tu me dises ce qui se passe dans ta tête ! T'es plus du tout le même depuis...

Ben se tut. Les yeux furieux de son ami n'étaient plus supportables. Ben baissa les yeux et une pulsion maniaque le saisit. Il s'accroupit et empoigna les draps du lit.

_Regarde l'état de ton appart. Depuis combien de temps t'as pas lavé tes draps ?

Brusquement Léo bouscula Ben contre la fenêtre et lui attrappa le col.

_Ne touche à rien, grogna-t-il en détachant chaque mot.

_Mec, il faut que tu me parles. Je dors plus depuis des mois. Il faut que tu me dises ce qui s'est réellement passé.

La supplique presque larmoyante de Ben n'émut pas Léo mais son agressivité cessa. Parler ? Pour quoi faire, pour quoi dire ? Les seules explications que Léo pouvait livrer étaient mêlés à des dizaines d'hallucinations.

Quelle était la vérité lorsque tout ce que en quoi il croyait avait fuit son existence ?

*

Le rouge avait imbibé le tissu de sa chemise. Torse nu, de collantes traces coloraient ses tatouages noirs et gris. Léo recula son visage à quelques centimètres de la pulpe des lèvres de Sy. Son teint blême contrastait avec le sang sombre qui s'étalait sur la grande toile sous son corps. Léo sentait encore le sang couler du cou de son amante et glisser entre ses doigts lorsqu'il vit une paire de chaussures entrer dans son champ de vision. Peut-être avait-il même entendu Ben l'appeler avant qu'il ne pousse la porte de la réserve.