15 - Toi & Moi

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Léo décollait puis recollait le sparadrap de son pansement. Claire avait décidé d'arrêter la transfusion après lui avoir pris plus d'un litre et demi de sang. Tout ce qu'il voulait était lui en donner plus, rendre à Sy tout ce qu'il lui avait volé. Sa vision s'était troublé à deux reprises mais Léo voulait continuer, quitte à échanger sa vie contre la sienne.

Au lieu de ça, le rose sur les joues de Sy était à peine visible en comparaison à ses cernes bleues veine. Léo balaya les miettes de sandwich qui restaient dans les plis de son tee-shirt. Après que l'infirmière ai retiré l'aiguille de son bras, elle s'était tout de suite affairé à préparer une collation afin qu'il reprenne des forces. Il avait mal au ventre. Pas à cause du sandwich mais à cause de tout le reste. Caressant les genoux de Sy, il se rappelait de leur dispute, de l'amour qu'ils avaient fait une dernière fois et de son acte.

Tout était sombre dans l'appartement et la lumière diminuait encore quand Léo cherchait une explication à son geste. Claire et Gio étaient finalement parti se coucher et Ben ronflait dans le fauteil d'à côté. Pourtant Léo était presque sûr de l'avoir entendu partir dans le cours de la soirée. Dans la pénombre du salon le prof d'art remarqua le sac de Sybille près de la table, ainsi que son trousseau de clés. Léo se souvint que son collègue était parti en effet puis revenu après être allé nettoyer "le désordre" dans la salle d'art.

Son ami avait minimisé les dégâts car même avec l'esprit embrouillé Léo savait que ce n'était pas un simple désordre. Ce qui s'était passé ce soir était un chaos total. Sybille l'avait quitté, et il avait littéralement attenté à sa vie pour ça.

Les larmes montrèrent quand Léo se souvint des mots de Sy chuchotés dans un soupir.

Je t'aime.

Puis elle les avaient repris. Car ça ne comptait pas, ils étaient sorti dans le feu de l'action. Et ils se consumaient à présent dans les mensonges qui enfermaient Sy dans un corps à peine chaud.

Elle mentait, elle mentait sans repis. Elle mentait pour s'éloigner, pour le quitter et rejoindre un autre. Il l'avait étreint dans un dernier élan de passion. Vain. La silhouette féminine rétrécissait encore dans le décor sombre. Elle rétrécissait et allait disparaître, laissant Léo seul dans un néant sans fond. La lame argentée semblait la seule issue, la seule arme qui pouvait défendre Léo contre ses démons qui se délectaient de sa solitude. La lame avait fendu la toile en deux, laissant un filet de lumière transpercer l'obscurité. Elle allait rester, pour l'éternité. Seulement, le filet de lumière se transforma en rivière de sang et il était impossible de remonter le courant. Elle le quittait définitivement.

Toujours assis dans le salon de Gio, le prof d'art fixait la besace icônique de la jeune fille. Sybille mentait et l'explication était sûrement dans ce sac qu'elle ne quittait jamais. Léo posa délicatement les jambes de Sy sur le canapé et avanca jusqu'à la besace. Il ne voyait pas grand chose dans le noir mais une enveloppe blanche accrocha son regard.

Quelques taches sombres, probablement de sang, entouraient l'écriture ronde de Sybille. Les trois lettres du prénom de Léo étaient écrites sur l'enveloppe. Sans un mot mais le coeur battant, le prof d'art posa son index dans l'encoche pour l'ouvrir. Il commença à la déchirer lorsque un bruit le fit tourner la tête vers le canapé.

*

Entre le sommeil et la conscience, Sybille ouvrait les yeux avec difficulté. Elle avait très mal aux jambes, comme si un éléphant s'était assis dessus. Elle ne pouvait pas les bouger de toute manière. Ni ses jambes ni le reste de son corps. Seules ses paupières battaient de temps en temps et même ça était douloureux. De plus en plus réveillée elle bascula la tête. Elle entendait ses cheveux frotter contre la surface sur laquelle elle était allongé, cela pouvait être un lit ou le sol elle ne différenciait pas le confort. L'unique sensation de Sy était le coton dans chacune de ses articulations. Sa raison se réveilla elle aussi et avec elle la logique et les questions.

Que c'était-il passé ? Où était-elle ? Était-elle encore en vie ?

Au-dessus d'elle Sy ne voyait qu'une lumière projetée sur le plafond. C'était sa lumière préférée : l'aube un jour d'été. Une fenêtre ne devait pas être loin. Elle reconnut la fine fissure sur le plâtre blanc. La jeune fille se surprit à ne pas voir les battements de son coeur accélérer. Oui, son calme était surprenant. Sybille bascula la tête un peu plus et le vit.

Allongé près d'elle, Léo l'observait avec inquiétude. Le soleil s'invitait graduellement dans la rue Dorbée et éclairait doucement les amants allongés sur le lit de l'appartement 5G.

Le pouls lent et les sens plus aiguisés, Sybille appréciait le silence du matin, la douceur des draps et la compagnie qui lui était accordé. Elle était presque sûre que cela se passerait ainsi mais il subsistait encore un doute sur le fait qu'elle le mérite. La jeune femme n'avait jamais vraiment réfléchis au paradis et à l'enfer. Après tout ce qu'elle avait fait dans sa courte vie, se poser sérieusement la question sur ce qu'il adviendrait de son âme après la mort l'aurait conduite à la dépression. Sybille Valmont avait finalement dû faire quelques bonnes actions pour se voir accorder le paradis.

C'était lui. Il n'y avait qu'auprès de lui que le repos était possible. Il n'y avait qu'ici, dans ce calme baigné de lumière, dans ce nid d'aigle qui surplombait les toits de la ville qu'elle pouvait s'élever. Sy remercia le ciel de l'éloigner à jamais de son diable qui la cherchait en bas.

_Bébé, chuchota Léo dans un sanglot, je suis tellement désolé.

Elle ne comprenait pas. Pourquoi pleurait-il ? Le prof d'art entremêla ses doigts à ceux de Sy puis porta leurs mains jointes à ses lèvres.

_Je te promet qu'il ne t'arrivera plus jamais de mal.

Il ponctua sa promesse en embrassant sa main. Elle ne le lâchait pas des yeux. Les choses s'étaient horriblement terminé. Cependant elles étaient terminées. Ils ne pouvaient qu'avancer et profiter de cet Éden inespéré. Pour la première fois Sybille pouvait croire en cette promesse, aucun mal ne l'atteindrait, elle n'avait plus à craindre cet homme qui régentait sa vie. La vie était finie.

La sensation de coton se dissipait peu à peu. Son bras était lourd mais elle réussit à poser sa main libre sur la joue de Léo. Ouvrir la bouche demandait trop d'effort alors Sybille sourit simplement à son amant. Une nouvelle larme échappa à Léo. Il approcha son visage plus près. Front contre front les amants restèrent ainsi, entre somnolence et rêve, entre pardon et lâché prise.

_Bébé, murmura Léo, il faut que j'aille prendre une douche.

Il acceuillit le sourire que Sybille lui adressait comme une bénédiction. Il se redressa après lui avoir suggéré de se reposer.

Proche de la salle de bain, Léo se retourna :

_Tu vas rester, hein ?

Allongée sur le lit, Sy écoutait cette question angoissée. Comment pouvait-elle lui montrer l'évidence de sa réponse et de fait, l'absurdité de la question ? Elle le regarda amusée puis attendrit par la sincérité de sa demande. Hochant la tête, Sybille semblait peser une dernière fois sur ses épaules le vacarme de sa vie passée, amorçant ainsi une quiétude constante, avec lui.

Soulagé, Léo sorti de la pièce sans savoir qu'il venait de poser les yeux pour la derniere fois sur Sybille Valmont.

L'art de la Nudité - tome III {Terminé}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant