Un... deux... trois... et quatre...
Je bats la mesure mécaniquement, mais mon cœur ne suit plus. Il ne le suivra plus jamais. C'est une évidence. Je tente de me calmer, de reprendre le contrôle, comme je le faisais autrefois. Mais aujourd'hui, rien n'y fait. La musique... elle n'a plus d'âme. Comme moi. Vide. Dévastée. Sans espoir. Le vide me ronge, m'envahit, et chaque battement de mon cœur est un rappel cruel que je suis brisée. Complètement anéantie.
À travers la fenêtre de ma chambre, je vois le ballet des domestiques, qui s'affairent à préparer cette mascarade. La salle est déjà pleine de leurs sourires hypocrites. Je connais leur regard. Je sais que, derrière leurs paroles bienveillantes, ils se réjouissent tous, d'une manière ou d'une autre, de ce qui se passe. Peu importe ce qu'ils disent. Je les vois. Je les entends. Je connais la vérité.
- Emiliana... il est l'heure...
Un... deux... trois... et quatre...
Je ferme les yeux quelques secondes, essayant d'attraper un peu de calme dans ce tourbillon intérieur. Je respire profondément, mais mon cœur s'emballe. Chaque inspiration est une lutte. Je dois rester forte. C'est ce que mon père m'a toujours dit. Garder la tête haute. Mais aujourd'hui, c'est une arme à double tranchant. Parce qu'il n'est plus là pour voir. Et je suis seule. Complètement seule.
Je dois lui faire honneur. Ils me surveillent tous. Je les sens. Leur regard lourd, traquant le moindre signe de fragilité, de faiblesse. Ils attendent ça. Ils espèrent ça. Mais je ne peux pas me laisser avoir. Pas aujourd'hui. Pas en ce jour...
- Emiliana ! S'impatiente la voix de Diego, l'ami de mon père.
Je cligne des yeux et me tourne lentement vers lui. La lumière de la pièce me brûle les rétines, mais ce n'est rien comparé à la chaleur qui dévore mon cœur. Mes lèvres s'entrouvent, mais aucun son n'en sort. Depuis des jours, rien ne sort. Juste un vide, un silence accablant. Alors, je hoche la tête, comme une automate, et me dirige vers lui, sans un mot.
Il m'observe, un instant, comme s'il pouvait y lire quelque chose de plus dans mon regard, quelque chose qu'il ne veut pas voir. Puis, il se décale légèrement et m'offre son bras, un geste familier, mais tellement vide de sens aujourd'hui.
- Ça va aller. Je suis là...
Mensonge. Un mensonge dont je n'ai même pas la force de lui faire le reproche. Je veux hurler. Tout lâcher. Leur dire que tout est fini, que tout est trop tard. Mais je reste là, muette. Ils me voient comme la survivante. Celle qui a traversé l'enfer et qui s'en sort sans un cri. Ils ne savent pas. Personne ne sait.
Les voix dans le hall d'entrée me parviennent, comme un écho assourdissant. Chaque mot me brûle la gorge. Je déglutis, mais c'est comme avaler des éclats de verre. Ma gorge est en feu. Une semaine s'est écoulée, mais la douleur n'a pas diminué. Elle est toujours là, profonde, intense, omniprésente. Et mon cœur... ce cœur qui ne bat plus vraiment... est-ce que je peux encore l'appeler cœur ?
- C'est le moment... Fais leur honneur... Me murmure Diego, son bras tendu comme un soutien, mais c'est moi qui dois avancer seule.
Un... deux... trois... et quatre...
Je voudrais fuir. M'échapper. Courir loin de tout cela. Mais je suis là. Dans cette maison. Ce lieu maudit où mon cauchemar a pris forme. Chaque recoin semble imprégné de l'horreur que j'ai vécue. Et je dois encore y faire face. Je me sens étrangère dans cet endroit qui, autrefois, était mon refuge. Maintenant je n'ai plus rien. Je n'ai plus de maison. Plus de cœur.
Je jette un regard furtif vers Diego. Il a toujours ce sourire rassurant. Celui que tout le monde aime. Mais, ces derniers jours, je sais qu'il me regarde différemment. Il s'inquiète. Il a peur. Et moi... je le déteste pour ça. Je voudrais qu'il me laisse, qu'il me laisse disparaître dans cette ombre où je me perds.
Mais je n'ai pas le choix. Mes poumons se gonflent d'air, et je me redresse, droite, figée dans cette mascarade. Une marche après l'autre. La descente vers l'enfer...
Un... deux... trois... et quatre...
Je peux le faire. Je vais le faire. Parce qu'ils attendent ça de moi. Parce que je dois leur prouver que je suis encore là. Que je suis forte. Que je suis la survivante. La dernière.
Un... deux... trois... et quatre...
Je ne laisse rien paraître. Tout reste enfoui au plus profond de moi. L'angoisse, la douleur, la rage. Tout se cache derrière un masque de calme, une façade qu'on m'a appris à porter.
Un... deux... trois... et quatre...
Je dois y arriver. Pour lui. Pour eux. Pour me venger. Ils ne savent pas tout ce que j'ai perdu. Mais ils vont le découvrir. Ce n'est pas la fin. Ce n'est que le début de ma fin!

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Au cœur de la meute...
RomanceEmiliana Costelina est une danseuse passionnée, évoluant depuis son enfance dans les plus prestigieuses salles de danse. Fille unique d'un homme d'affaires colombien, elle a grandi parmi des figures influentes, apprenant à naviguer dans un monde où...