2 • JUN JINZAI • d'une princesse

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Le nez collé contre le prof,
Jun Jinzai pouvait presque sentir l'odeur de l'étoffe
vielle et pelucheuse
que monsieur Delheuze
portait depuis maintenant
trois ans.

Ça lui déplaisait un peu cette place attitrée au premier rang,
près de la porte, pour ne pas déranger

les autres.

Il se sentait écrabouillé contre le tableau, comme raplati par la réalité et la complexité des choses, sans recul,
enfermé dans une bulle
de confusion.

Il aurait pu, de loin, distinguer et comprendre la pensée des philosophes.
Mais non, les profs
lui imposaient des schémas et des postillons, sauvagement,
en espérant,
sans doute, qu'il les absorberait mieux en se faisant rouler dessus par les informations.

C'était néanmoins également un avantage,
car ainsi, il remarquait moins les commérages
et les regards gratouillants

des autres.

Cette place effaçait en quelque sorte le monde de derrière.
Elle établissait une barrière,
point mort,
où la perspective et la profondeur n'existaient plus
où le reste de la classe était comme reclus
dans un vague baragouinement,
friture désagréable de radio, dont les professeurs essayaient vainement
d'ajuster les ondes.

Ainsi, les voix semblaient venir d'une autre réalité profonde,
lorsque Mr. Delheuze écartelait les noms,
et même les prénoms,
des nouveaux bouffons
de la classe.

« Bérre-trand, Amélie.

-Présente.

-Chevallier, Léopoldine. Chevallier, Léopoldine ? Ah oui, je ne vous avais pas vue. Euh, où en étais-je ? Ah oui. Deprez, Julie.

-Présente.

-Derrick-Car-va-l'eau, Manuela.

-Présente.

-De Smedt, Aloïs.

-Présent.

-Du-freu-noïs, Axell. Tiens, vous êtes nouvelle, vous ? »

Il replaça la monture de ses lunettes,
comme pour ajuster des souvenirs plus très nets.

« Alors là mais je vous arrête tout de suite, monsieur Dél-h(ramassage de salive)-euzé. Y a rien qui va. Mais vraiment rien. Je suis pas nouvelle moi. De un, je suis là depuis l'année passée. De deux, je suis pas une fille. Mes pronoms c'est iel / ellui.

(m)iel, (m)êle-lui

Du coup, je vous prie d'éviter les adjectifs trop genrés. Vous pouviez demander, par exemple, « c'est votre première année dans cette école ? » ça marche beaucoup mieux. Merci de votre écoute. »

Un sourire vint se poser
sur les lèvres de Jun Jinzai.
Cette énergie révolutionnaire
allait sûrement rendre l'année moins amère.

Cependant, c'était un esclandre
qui ne pouvait que s'étendre
quand retentit
la sonnerie.

« Wesh t'as vu comment la fille elle a tenu tête à Delheuze ? (secouage de main dans l'air façon DJ) Il était cassé après mais elle va se faire tuer à son examen, déjà qu'il est pas commode le vieux.

-Ouais, je sais pas d'où elle sort mais je sens que le cours va être moins casse-couilles cette année.

-Eh, t'as rien entendu ? intervint Jun Jinzai. C'est « iel » quand on parle d'« ellui ».

-Oh, salut mec.

Deux coups de poings qui s'annulent. Check.

-Désolé hein, on a rien pigé à son délire. Bon on se revoit frère là on crève la dalle. »

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant