QU'ART'Z

38 • JUN JINZAI • des trajets

Jun Jinzai se balançait au bord du ciel
tout pétri d'un vertige existentiel
alors qu'on l'embarquait vers l'aventure
dont l'inconnu terrifiant enrôlait son futur.

Les profondeurs de la nuit s'étaient cristallisées sur la vitre du car,
tout en avant, derrière les professeurs, pour prévenir tout écart.
(Son fauteuil avait été glissé à l'avant lors du transfert.)

L'inquiétude de Jun Jinzai était rendue pétillante par l'excitation, probablement transmise par Axell dont la jambe rebondissait sans arrêt, un enfer.

« T'es prêt, Jinzai ?

-J'en sais rien, et toi ?

-En tout cas pas pour le trajet. »

Les brumes des aurevoirs avaient été dispersées par les conversations murmurées.
Celles-ci formaient une fumée opaque et envahissante, comme pour murer
le silence.

Axell et lui discutaient avec Manuela et Amélie, derrière, dans une rapide cadence.

« Mais du coup, au fait, Jun et toi vous sortez ensemble ? » demanda Amélie.

Axell explosa d'un rire fort tandis que Jinzai se retenait de commettre le même délit.

« Ah bah ça c'est la meilleure. Ouais non Jinzai et moi on est pas ensemble. On est bien plus que ça. »

Iel lança un clin d'œil mais Jun n'était pas sûr d'à qui il était vraiment adressé.

« D'accord. Je me demandais juste. Comme vous êtes tout le temps ensemble et tout. Mais j'ai trop hâte de voir les couples qui vont se créer pendant le voyage.

-Ah bah moi aussi, très très hâte. » répliqua Axell en fixant une Manuela contrôlée.

« Mesdames, messieurs... et autres !» interrompit monsieur Arnaud, le professeur de français,
en se dressant au milieu de l'allée.
« C'est le grand départ, la grande épopée chaotique que vous avez attendue pendant six ans. Madame Veillon, monsieur Delheuze et moi-même, ainsi que les accompagnants du deuxième bus, avons été choisis comme cobayes pour tenter de vous guider et de vous encadrer.

-Le prof de géo est pas là en cours mais pour les voyages c'est le premier. murmura Axell, avant de se prendre un regard réprobateur.

-Mais ne vous trompez pas, ce voyage est à vous. Nous ne sommes que des bergers. Si vous nous écoutez et nous suivez, nous n'aurons aucune raison de vous restreindre ou vous surveiller de trop près. Il est précisément cinq heures trente-quatre minutes du matin. Nous atteindrons Vienne dans environ huit heures, moyennant pauses. À notre arrivée, nous nous installerons à l'hôtel où un dîner nous attend et nous partirons à l'assaut de Vienne dès l'après-midi. Je vous conseille dès lors de tenter de cueillir quelques heures de sommeil cette nuit afin d'être prêts à l'abordage. C'est donc pourquoi nous vous instaurons maintenant un couvre-feu. Dans le respect de tous et toutes, et toustes, les bavardages sont à présent abolis. Les questions attendront demain. Enfin... plus tard. Bonne nuit. »

Ses derniers mots se répétèrent en cœur par la cinquantaine d'élèves.

Jun, éternelle chouette, n'était pas encore assez apaisé pour glisser dans le monde des rêves.

« Tu vois quelque chose par la fenêtre ? souffla la voix d'Axell à ses côtés.

Il sourit, peu étonné.

« Oui. J'aime bien me dire que je suis nyctalope.

-Que tu quoi ?

-Nyctalope. Ça se dit d'un animal qui voir la nuit. C'est le mot préféré d'Hélice. Elle adore les étoiles.