« Eh, Emma ! C'est ton magasin ! » s'exclama Camille en levant les bras face à la boutique Hema.
-Hilarant. cassa Amélie.
-En soi elle a raison, c'est un peu une caverne d'Ali baba, je me trouve toujours plein de nécessités inutiles. »
Manuela s'engouffra dans le magasin de bric à brac sous le sourire contrit de la vendeuse qui devait attendre que quatre jeunes filles et deux autres traînards sortent pour enfin pouvoir fermer et rentrer chez elle. Emma lui adressa un air d'excuse.
« Emma, t'es avec nous ?
-Ouais, désolée, je suis un peu fatiguée, c'est tout.
-Le shopping, c'est toujours épuisant.
-J'ai même l'impression que tu t'épuises plus à dépenser de l'argent qu'à en gagner, Soph'. » ricana Amélie en testant un rouge à lèvres sur le dos de sa main.
« Alors, ça valait trop la peine parce que ce jean me fait un trop beau cul et ce pull est délicieux. Et puis déjà, de l'argent j'en gagnerai quand j'aurai fini mes études. Je te signale que j'ai pas le temps d'étudier si je bosse.
-Par contre t'as le temps d'étudier en faisant du shopping.
-Laissez-la tranquille, après elle voudra plus venir. » rit Manuela, éternelle médiatrice.
« Ouais, déjà qu'elle nous laisse tomber pour son mec la plupart du temps... Regarde Emma, Soph', même si elle bosse tout le temps comme Léopoldine ces temps-ci, alors qu'on n'a pas grand-chose à faire m'enfin, elle sort quand même avec nous.
-Elle est là pour ses potes, Emma, elle. » renchérit sarcastiquement Camille.
« Vous êtes juste des rageuses parce que vous êtes célib. » réplica Sophie en tirant la langue, déclenchant le retour de leur sujet préféré : les mecs.
Emma souriait à s'en faire mal et se forçait à participer à la conversation. À vrai dire, elle se forçait à être « comme d'habitude » depuis le début de la journée, de la semaine, du mois. Cependant, « comme d'habitude », c'était un masque plat et, en-dessous, des remous. Des remous qui voudraient tellement redevenir plats, comme d'habitude. Pas ce « comme d'habitude » glaçant qui lui disait que sa vie n'était que ça, au fond, un masque et rien dessous. Parce qu'il ne se passait jamais rien dans sa vie, parce qu'elle n'avait rien à dire, au fond, elle faisait juste parler les autres. Ou les personnages dans son imagination. D'habitude, ce n'était pas aussi douloureux, terrifiant et vide. Les deux dernières semaines avaient débordé de sorties pour ne pas se retrouver avec ses pensées et le monstre bleu dans sa gorge comme sur le dessin de Mélissa. Pourtant, elle ne s'était jamais sentie plus seule.
« Les gars je crève la dalle, on irait pas au BK ? proposa finalement Camille.
-Ouais, pourquoi pas. »
Elles sortirent sans rien acheter, pour la plus grande exaspération de la vendeuse. Elle aurait quand même dû prendre quelque chose, la culpabilité la tenaillait à présent.
« On pourrait aller autre part, non ? Je pensais qu'Emma faisait un régime.
-Euh non, pas vraiment, Amélie. répondit la concernée.
-Sérieux ? Enfin, on avait commencé ensemble quand j'avais quelques kilos de trop pour la danse. Mais je pensais... pour ta santé... »
Culpabilité. Culpabilité. Culpabilité. Rage.
« La malbouffe c'est de la malbouffe pour tout le monde. Go toutes se niquer la santé ensemble, j'ai besoin d'un burger juste aujourd'hui. »
Sur ces mots, elle rentra dans le fast food à la chaleur agréable et aux odeurs grasses. La santé, la santé... on ne parlait pas autant de santé aux personnes qui auraient des troubles alimentaires dans un corps normal. Normal étant mince. Comme si c'était de sa faute si elle rentrerait jamais dans les tops XS. Pourtant le monde s'attendait à ce que sa première priorité dans la vie soit de réparer cette « erreur de la nature », à n'importe quel prix. Même au prix de sa santé, au fond. Mais Emma n'avait pas de volonté. Elle n'avait pas le courage de passer toutes ses journées à s'affamer ou à faire du sport quand ses potes se prélassaient devant la télé à grignoter sans prendre un gramme ou une remarque sur sa santé.
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Fiksi Remaja• le monde a plus de facettes que tu ne crois • SAMUEL se cache derrière l'objectif d'un appareil photo pour ne pas pétrifier du regard JUN JINZAI consigne les mots dans un carnet noir aux bords cornés MÉLISSA cherche toujours un pinceau dans ses...