50 • JUN JINZAI • des doutes

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L'insomnie perlée de doutes
coulait, goutte à goutte,
dans le sablier infernal de la nuit.

Jun Jinzai saisit son téléphone pour dérouter cet ennui.

[Tu es là ?] petit astronaute en repérage dans le néant froid du soir
relié au vaisseau par un cordon d'espoirs.

Mélissa le recueillit aussitôt sur sa petite planète grise
avortant net son fœtus de crise.

[Alors, tu l'as fini ?]

Comme un déjà vu, l'euphorie de la création pétillait encore :
bulles qui éclatent en étoiles sonores.
Petit bonheur qui frétillait sous ses doigts :
planter des mots qui deviendraient des feuilles puis des bois.

[Oui.]

[Tu vois, je t'ai dit que tu allais t'en sortir, malgré tout.]

[C'est de la folie. Avec les examens dans deux semaines, le spectacle juste après... Ironiquement, je crois que ça a fait exploser mon inspiration. L'écriture comme échappatoire à la pression, sous forme de diamants... ]

[Plus je stresse, plus je veux dessiner. Ça m'aide à respirer.]

[C'est une échappatoire. Ça l'a toujours été, pour moi.]

[L'école est vraiment un endroit gris.]

[Oui. Mais maintenant que je vais enfin en sortir... Mélissa, quand tu seras aux beaux-arts, que tu vivras de ta passion, et que ça te rendra heureuse... tu échapperas à quoi, pour peindre ?]

C'était un peu injuste comme conversation,
il savait très bien que c'était à lui-même qu'il posait la question.

Mélissa laissa longtemps planer l'hésitation,
peut-être qu'à côté elle était toujours plongée dans ses révisions.
Au moins elle avait la vision
de ce qu'elle voudrait faire dans le vague "plus tard" si proche à présent ;
lui ne voyait que les destins malfaisants
qu'il voulait à tout prix éviter.

[Je sais pas, j'échapperai à la pauvreté ?] tenta-t-elle.
[À l'invisibilité, peut-être. J'ai besoin de l'art pour vivre. J'aurai toujours besoin de l'art pour vivre si ça devient mon gagne-pain, du coup.]

Jun sourit à cette réponse
pas tout à fait accomplie : comme Raiponce
qui tournerait en rond dans sa tour-prison,
inventant sa vie de dehors sans jamais savoir si elle aurait raison.

[De toute façon]
reprit Mélissa. [C'est pas comme si on pouvait être heureux tout le temps. Alors, il y aura toujours quelque chose à vouloir, et quelque chose à fuir.]

[Des cycles partout. C'est beau, quand même. Et terrifiant à la fois.]

[Jun ?]

[Oui ?]

[Tu étais jaune cette semaine. Alors arrête de penser au futur. ]

[Autant dire à un nuage de pas bouger.]

[Écoute, tu as fini ta nouvelle. Peut-être que tu gagneras ton concours. Peut-être pas. Dans tous les cas, ce qui importe n'est pas ce que tu as créé mais qu'est-ce que tu vas créer, maintenant ?]

[Tu mets le doigt sur la question qui me hante, Mélissa.]

[Alors arrête de te la poser. Crée. Tu finiras bien par trouver.]

[Comme les visages colorés que tu dessines dans les marges des cahiers ?]

[Oui. Je me demande pas d'où ils viennent je sais juste qu'ils sont là alors je les dessine. Sous mon crayon, ils me racontent une histoire. À trop poser de questions, tu finis par ne pas écouter les réponses.]

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant