56 • JUN JINZAI • de la gravité

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Le train expira un soupir bienheureux
que Jun imita, enfin arrivé au bout de son voyage aventureux. 

Abandonné au milieu du quai tumultueux,
son sac sur ses genoux, dépassé par des gens pressés qui ne pensaient qu'à eux,
il respira l'air gorgé de soleil qui s'engouffrait dans le vide au-dessus des rails.

Deux secondes de répit avant que ça ne déraille,
avant le feu follet qui lui tomba dessus, ne pensant qu'à lui.

« DJINN. hurla Élis en l'enlaçant, sans une seule seconde d'hésitation. 

-Hélice. rit-il en bloquant son fauteuil d'une main. Il dût dégager l'épaisse chevelure rousse pour réussir à respirer au milieu de tant de passion.

-Je suis si heureuse que ce soit toi, pendant un instant je me suis dit que j'avais peut-être enlacé le mauvais mec. »

Elle se détacha de lui aussi soudainement qu'elle était apparue, les mains enfourrées dans ses cheveux en broussaille. Dans cette pose,
l'univers semblait être mis en pause
sur le champ gravitationnel de leurs regards
plantés dans un face à face impossible au milieu de la gare.

Elle portait son vieux t-shirt fétiche,
celui de la Nasa acheté dans l'exposition-qui-avait-changé-sa-vieet son jean était estampillé de planètes postiches
tous ces détails, tout ce mythe d'Hélice, devant ses yeux prenait vie.

« T'en vois beaucoup, des asiatiques en fauteuil roulant dans une gare de province ?

-Oh, tu sais, l'univers est parfois très surprenant. Après tout, on fait des galaxies à partir d'étoiles complètement éloignées. »

Des grains de pollen frétillaient sur ses joues blafardes.
Elle avait presque l'air d'une amazone avec sa crinière folle et ses yeux hallebardes,
qui traversaient des lunettes télescopiques
il se demandait ce qu'elle voyait de lui hors des écrans et leurs illusions d'optique.

Était-elle déçue de cet extraterrestre descendu pour une rencontre
au-delà des mots ? Contre
toute attente, il y avait quelqu'un de vivant, là, au bout des silences de métal.

« Bon, on y va ? s'exclama Élis, d'un enthousiasme toujours égal.

-On y va.

-T'as pas eu de problèmes, dans le train ?

-À part le fait qu'on a dû porter mon fauteuil sur les marches au dernier alors que j'avais précisé qu'il fallait une rampe et les couloirs clairement trop étroits et les gens qui voulaient m'aider pour le transfert alors qu'ils bloquaient mes mouvements, rien. J'ai écrit tout le trajet, c'est incroyable l'inspiration que j'ai, devant un paysage qui défile.

-T'as planifié la suite de l'épopée spatiale ?

-Entre autres.

-Si tu savais comment j'ai hâte que tu me racontes tous les détails à voix haute, au milieu de la nuit...

-Si tu savais comme j'ai hâte de te les raconter. Même si c'était pour te rencontrer, ces heures de trajet sans t'écrire étaient affreusement longues.

-Désolée de te décevoir mais on en a encore pour vingt minutes de voiture. J'espère que ce sera assez pour t'habituer à la France profonde. »

Elle leva sa main, doigts écartés en V
comme dans star Trek et un grand sourire s'étala sur sa peau délavée.

Il sur alors qu'il était arrivé.

Jun estima qu'il avait bien rempli sa mission
de séduction
des parents qui, méfiants encore, soupçonnaient peut-être un pédophile
au bout du fil.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant