23 • LEOPOLDINE • du nouvel an

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La nouvelle année, selon Léopoldine,
n'était qu'un rappel périodique et inutile
que tout allait, une nouvelle fois, être
la même chose.

Ce n'était pas frustrant. Le monde avait besoin
de régularité et d'ordre pour fonctionner.
Elle avait besoin de régularité et
d'ordre pour fonctionner, sinon tout s'effondrait.

Comme ce soir-là si saturé d'hésitations
aboli parce qu'elle ne trouvait pas son
collier, celui qui venait de sa grand-mère
qu'elle adorait si tendrement : rappel d'amour.

Et toujours cet océan s'ébrouait en elle
avec ses vagues furieuses, ses profondeurs,
et cherchait à sortir, l'érodait peu à peu.
Il avait brisé les barrages de ses yeux
parce qu'elle ne parvenait pas à trouver
ce collier débile... donc tout se dégonflait,
ses résolutions comme le sens de sa vie.
Tout n'était que larmes de cet immense océan.

L'ennui avec le nouvel an, par rapport au
reste de l'année, était clairement le bruit.
Le bruit qui se faufilait depuis chez Emma.
Le bruit bas et lourd, angoissant, qui pompait le
calme hors de son corps perclus d'anxiété.
Le bruit
comme les assauts incessants de l'océan.

Sa respiration s'était faite naufrage.
Il fallait... il fallait, il fallait, il fallait,
il fallait qu'elle regagne son violon
qui était son navire avec le mât archet
portant la voile blanche de la musique.
Mais que dirait sa mère avec tout ce son ?

L'arrête stridente de la sonnette lui
causa presque un infarctus. Sa mère était au
téléphone, une affaire urgente, sans doute.
Maximilien et Charlotte étaient en blocus
étudiant pour les examens de janvier.
Il fallait, il fallait... fallait qu'elle aille ouvrir.

Derrière la porte, il y avait Emma
dans sa glorieuse robe rouge, si belle.

« Hey, Léo, tu avais dit que tu viendrais un peu, finalement. Et tu nous manquais alors on s'est dit qu'on passerait te chercher. »

Au-delà, dans l'obscurité crépitante,
elle distingua Mélissa et Samuel.

« Je peux pas.

-Ah, vous faites un truc spécial avec Charlotte et Max finalement ?

-Je peux juste pas. » répéta-t-elle, coulant dans le dernier mot.

Elle tenta de refermer la porte, faible,
mais dut quand même laisser passer Mélissa.

« Eh là, princesse, qu'est-ce qui se passe ?

-Je peux pas le faire, je pensais que je pouvais le faire mais j'ai perdu le collier et de toute façon ça sert à rien.

-Eh, respire, explique-nous. Tu peux nous faire confiance.

-Non, je peux pas. Désolée. Je... je sais pas faire confiance. Désolée. Ma confiance était en verre et je la donnais trop vite et maintenant j'arrive pas à recoller les morceaux. Je peux juste... rien. Désolée.

-Tu peux, mais ça prendra du temps. Maintenant explique-nous. Pourquoi tu ne peux pas venir ? Est-ce que ta mère t'en empêche ?

-Non. Elle veut que j'y aille mais je peux pas. Désolée. Je... sais pas aller à des fêtes comme vous. Je ne sais pas quoi faire. Et il y a beaucoup trop de gens partout et beaucoup trop de bruit et beaucoup trop de flou et des gens qui ont bu de l'alcool...

-Ils s'amusent, ils sont un peu joyeux, c'est normal. répondit doucement Emma.

-Non. Ils savent pas ce qu'ils font et moi je sais pas ce que je fais je sais pas ce que je dois faire. Je suis désolée.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant