57 • MÉLISSA • d'un blanc

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Une angoisse orange-verte tordait les entrailles de Mélissa. Soudain, le paysage qui filait à toute vitesse semblait traverser son corps en un éclair impitoyable. Comme un pinceau trop sec, dans sa poitrine et des bulles jaune fluo, dans sa gorge. Crise d'angoisse.

Mélissa sentit les bras blancs de Léopoldine entourer son cou, et elle s'engouffra dans cette étreinte rendue maladroite par les sièges du train.

« Je suis- désolée – je sais pas ce que –, parvint-elle à extraire, la voix hachurée.

-T'as pas besoin d'expliquer. Respire. Ça frappe comme ça, parfois, pour aucune raison. Respire. »

Léopoldine avait une étreinte étonnamment forte, malgré sa frêle corpulence violette. Il fallut un petit moment à Mellie avant que le monde arrête de tanguer dans ses intérieurs bariolés et qu'elle réapprenne comment respirer – comme après un long plongeon.

« Merci.

-Je suis... là.

-Merci. Désolée. hoqueta Mélissa dans un petit rire étranglé. L'angoisse m'a prise, comme ça, j'ai rien compris. Pourtant j'ai tellement l'habitude d'aller à Bruxelles, tellement de joie.

-Bruxelles m'apparaît toujours trop grande.

-C'est peut-être ça. J'ai l'impression que tout est tellement énorme, pour le moment. Je vais m'inscrire et il faudra me préparer pour les épreuves et je ne saurai pas avant fin août si les Beaux-arts me prennent, si ma bourse viendra, si j'arriverai à trouver un logement... Il y a tant de trucs à gérer. C'est un énorme coup de stress vert-orange.

-Tu n'as jamais douté, Mellie. Ne doute pas maintenant. Tu auras tout. Tu mérites tout. Je n'en doute pas une seule seconde. Et si quelque chose va mal... je serai là pour t'aider.

-Oui. Je vais pas lâcher. Mais quelque part j'ai ce sentiment que je devrais pas avoir à penser à tout ça maintenant. J'ai tellement l'impression d'avoir grandi trop vite. Toi aussi, parfois.

-Tu sais, on se rattrapera. On la récupèrera, notre enfance.

-Tu crois qu'on peut faire ça ?

-Je sais pas. On regardera des dessins animés et on chantera des chansons débiles et on fera des batailles de boules de neige et on fera de l'équilibre sur des bordures on jouera à des jeux de société et on essayera de s'émerveiller de tout comme si c'était la première fois. On relira tous les soirs le Petit Prince ou les livres que tu lisais enfant. On ira en visite au pays imaginaire. Pour ne jamais oublier. Personne a le droit de nous la voler définitivement, notre enfance. 

-Est-ce que c'est une promesse ?

-Juré.

-Craché ?

-... Peut-être pas dans le train.

-Ça me va. Pinky promise, alors. »

Elles croisèrent leurs petits doigts, joli yin yang.

« Tu me laisseras gagner, des fois, à des jeux de société ?

-Bien sûr.

-C'est bien. Il faut laisser les enfants avoir un peu de confiance en eux, mêmes s'ils sont nuls.

-Peut-être que c'est parce qu'ils ont pas confiance en eux qu'ils finissent par abandonner.

-Il faut y croire. Il faut y croire avant d'être parfait, avant d'être bon. C'est ça, la grande bêtise des adultes. Être réaliste ne mène pas très loin. »

La voix saccadée de la femme-du-train leur annonça qu'elles arrivaient à la gare de Bruxelles-Centrale. Elles débarquèrent et, aussitôt, l'amour violacé qu'avait Mélissa pour cette ville engloutit ses pas. Il y avait encore un monsieur au violon, devant la gare. Alors, elles écoutèrent sa mélodie vert-d'eau : art qui s'effeuille comme un tapis d'automne balayé par les passants. C'était certainement ce que Mélissa aimait le mieux. Plus que les musées, plus que les galeries : des éruptions d'art qui ne pouvaient jamais être étouffées, là où il y avait de la vie. De l'art ignoré, inconsidéré, mais qui revenait, aussi tenace que de l'acné. Mais beaucoup, beaucoup plus inspirant. Donner une couleur à l'indifférence.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant