43 • SAMUEL • de la patience

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Contrairement aux trains, Samuel n'aimait pas les voitures. Tout était beaucoup trop rapide, insaisissable et industriel. En plus, ça le rendait légèrement nauséeux. Il trouvait ça terriblement ironique de ne pas avoir le mal de mer alors que les voitures le rendaient malade, mais, après tout, ce qui nourrissait ces maudits engins était aussi ce qui étouffait sa mer chérie.

Manuela, à côté, lui adressa une bourrade rassurante. Il lui tira la langue. Sa sœur avait à peine eu le temps de rentrer qu'elle était embarquée pour leur rituelle semaine à la mer avec les cousin∙es pour Pâques. Elle ne lui avait encore rien raconté de son voyage à Vienne, repoussant à plus tard avec une légère rougeur. Manuela était physiquement de retour, oui, mais elle était toujours là-bas, quelque part où il ne pourrait pas la rejoindre.

Lui aussi se souvenait peu à peu des choses qu'il avait à lui raconter. Mais il constata que la patience avait émoussé l'intensité de ces moments pour les cadrer dans une habitude rapide. Finalement, l'absence de sa sœur n'avait pas été aussi dramatique qu'au premier jour. Il n'avouerait pas, par contre, qu'elle l'avait accompagnée comme petite voix de sa conscience. Il ne lui avouerait pas que le projet de génie qu'elle montait avec Axell et Jun lui avait donné une incroyable accroche pour rester avec Martin et Nahla (qui étaient beaucoup, beaucoup moins fades qu'il ne le croyait mais ça, il ne l'avouerait pas non plus). Quant à Hadrien, il n'avait même plus envie de lui accorder une seule pensée, aussi incompréhensible que soit son comportement. Samuel comprenait beaucoup mieux les animaux, de toute façon. Ça ne se prend pas la tête, un oiseau. Et il y en a qui les gardent dans des cages pour le plaisir. Immonde jalousie de l'humain.

Il n'était peut-être pas mieux. Mais lui capturait les oiseaux dans sa mémoire.

Le paysage filait et filait, aussi confus et ennuyeux que le seraient les conversations de famille des prochains jours. Il espérait que Margot Derycke serait là. Elle ne parlait pas super bien le français ou la langue des signes mais au moins elle était marrante et anti-conventionnelle, pas comme les autres flamands coincés de la famille. Il se demandait de quelle couleur seraient ses cheveux, cette fois-là. Les roses étaient stylés. 

Malgré tout, Samuel n'essayait jamais de s'esquiver de ce pèlerinage annuel. Contrairement aux voitures, à l'école et aux réunions de famille, Samuel aimait la mer.

Il l'aimait assez que pour mettre son réveil à cinq heures du matin, le lendemain, pour aller cueillir la rosée sur l'écume.

Manuela ne se réveilla pas avec les vibrations de l'alarme. Il était légèrement déçu qu'elle ne l'accompagne pas mais il supposait qu'elle l'aurait probablement étranglé s'il l'avait ainsi agressée. Samuel ne pensait qu'à Antigone, le livre que Léo lui avait confié avant de partir en voyage. Il était le premier à croire au jour, ce matin. Il tenait l'univers dans sa paume et c'était merveilleux. Tout était encore gris, comme si les couleurs fatiguées d'afficher leur sourire pour un travail sans reconnaissance rentraient enfin se fondre dans leur fade vie. Ce n'était pas une heure que Mélissa aurait aimée. Mais lui savait ce qu'elle réservait. Le garçon se saisit de son imperméable rouge et de sa caméra, puis s'engouffra dans la cuisine pour trouver quelque chose à manger.

Il sursauta en percevant une présence derrière lui. Son père était là, tout ensommeillé dans son peignoir, vaguement perplexe.

« Ah c'est toi. constata l'homme, étouffant un bâillement.

-Tu peux te rendormir. signa lentement le garçon, pour ne pas faire de bruit. Je veux pas être en retard pour l'aube.

-Je viens avec. » répondit son père en activant la machine à café.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant