5 • LEOPOLDINE • des repas

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« Tu lis quoi ? »

Panique interne.

Il n'y avait personne à ses côtés. En plus,
elle lisait : ça devait être à elle qu'on parlait.
Léopoldine leva le regard. Elle
leva aussi le livre : il faisait réponse
et grande muraille protectrice de mots.
Par l'écoutille, elle aperçut... un garçon.
Pommettes circonflexe, yeux fentes ardentes.

« Notre-Dame de Paris. Hugo, quel homme. Mais je préfère Zola. »

Il connaissait Hugo. Et puis aussi Zola.

« Moi c'est Jun Jinzai, au fait, comme si mon visage était pas assez asiatique comme ça.

-Je sais. »

Elle savait, en effet. Il était la seule
personne en chaise roulante qu'elle connaissait.

Il lui offrit un clin-d'œil. Ses joues ardentes
plongèrent derrière la muraille du livre.
Peut-être était-il beau. Il était sûrement beau.

« On est dans la même classe. C'est pour ça que je sais. »
clarifia-t-elle, courant un sprint sur les mots.

« J'avais compris, t'en fais pas. Je te vois souvent avec Manuela, vous êtes amies depuis longtemps ?

-C'est ma voisine. »
répondit-elle avant de se reprendre.
« Et ma meilleure amie.

-C'est trop bien que vous soyez voisines !

-Oui.

-Elle a un petit frère aussi, non ?

-Samuel. Il a seize ans, comme moi.

-Tu as seize ans ?

-On m'a avancé d'une année et demie.

-Oh, je comprends, ça doit être un peu chiant parfois la différence d'âge, mais c'est cool que tu aies des amies dans cette génération aussi.

-Oui. »

Léopoldine avait à présent un regard
suspicieux. C'était agréable de parler
avec lui. Mais elle ne comprenait pas pourquoi.

« Ça ne te dérange pas que je mange avec toi ? »
demanda-t-il alors face à sa confusion.

« Pourquoi ? »

D'habitude elle mangeait avec  Manuela.

Elle tentait toujours de ne pas la déranger.
Mais là Manuela était sortie en ville
manger avec d'autres potes, donc sans Léo.
Alors elle mangeait seule et elle lisait et elle
aurait voulu s'encastrer dans le mur ou dans
son livre, au choix, pour disparaître de là.

« Euh, j'ai oublié ma carte de sortie mais Manuela m'a dit que tu mangeais ici. Finalement j'ai laissé les autres partir sans moi et je me disais qu'on pourrait discuter. »

Discuter ? Discuter de quoi ? Et comment donc ?

« Mais je dois monter au CDI après, pour le devoir de maths. »

Elle avait déjà fini le devoir de maths.

« T'en fais pas, je ne veux pas te déranger. »

Il dérangeait. Il dérangeait la lecture
et du coup le faible équilibre de l'oubli.

Mais il connaissait Hugo. Et aussi Zola.

« Mais du coup, rappelle-moi ton prénom ?

-Léopoldine. »

Il tapota son index contre sa tempe.

« Évidemment. D'où Hugo.

-Je ne connais pas beaucoup de gens qui connaissent Hugo comme ça. Et Zola.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant