8 • JUN JINZAI • d'un travail

30 7 69
                                    

« Ça va aller, Jun ?

-Oui, ça va aller, Marc. » grinça le garçon
qui se hissait de son siège et faisait bien attention
à ce que son pantalon
ne révèle pas son caleçon
(jaune à têtes d'iron-man).

Il se déposa sur son vaisseau habituel
et s'engagea dans l'allée avec Axell.

« Bon, tu m'envoies un message quand il faut venir te rechercher.

-Mon père peut le ramener, si vous voulez.

-Non, je viendrai. Bon travail les jeunes.

-Il est tendu, ton beau-père quand même. » murmura Axell quand il se fut éloigné.

Iel grimpa sur le perron et sonna à la porte.

Des marches, évidemment. Toujours des marches inutiles où il faudrait qu'on le porte.
Dans les trottoirs, les écoles, les bâtiments publics...
Toujours ces marches démoniaques. À croire que les gens étaient obligés de les foutre partout, leurs briques.

Cliquetis.

« Salut, entrez, on vous attendait. s'exclama Manuela
avant de se figer là. Attends Jun, on va t'aider. Ça va aller ?»

C'était leur phrase préférée, « ça va aller ? ».
C'était vague quand même, « ça va aller ? ».
C'était un peu comme un préavis,
ça parlait de maintenant, de demain, de toute sa vie.
C'était une répétition, « ça va aller ? », et ce n'était que ça, finalement
ça allait aller, comme un train mis en marche qui roulerait indéfiniment
sans pouvoir s'arrêter vraiment.

Jun roulait, et il s'arrêtait, mais sa vie, elle, était lancée sans frein, les roues arrière entraînaient celles d'avant
les poussaient irrévocablement
et il continuait, et ça allait aller.

Mais il avait besoin de rails, pour rouler.

Il voyait
que Manuela se débattait
pour trouver une solution.
Elle faisait comme tout le monde, mais « l'aide » empirait la situation
c'était trop con.

Il pouvait se débrouiller,
il savait comment il marchait
(ou ne marchait pas, la plupart du temps).
Il suffisait d'un peu d'élan.

Les bonnes intentions
et l'excès de précautions
ne faisaient que l'handicaper
dans un espace qu'il maîtrisait.
Tout ce qu'elles lui apportaient
étaient une vitre de pitié.

« T'as besoin d'espace ou d'aide ? » demanda simplement Axell, ce qui était bien plus malin
parce que lui au moins
savait comment mener sa barque.  

« Oui, éloigne-toi juste un peu et mets-toi derrière au cas où mais pas trop près. Emma, ne t'en fais pas, laisse juste la porte ouverte. Je vais m'en sortir, tant qu'on travaille au rez-de-chaussée.

-Oui, bien sûr, on est dans le salon, j'ai tout préparé, j'avais juste pas pensé...

-T'en fais pas je te dis, tu allais pas détruire la marche non plus. »

Il riait, Jun, mais ça restait coincé dans sa gorge. Cette marche, cette foutue marche et toutes les autres marches sur son chemin qui pourraient faire dérailler son train en course. La marche qui viendrait à bout des roues enrouées par tous ces obstacles invisibles aux yeux du monde. Il avait l'habitude, il maîtrisait maintenant l'équilibre qui permettait aux roues avant de se hisser, puis l'impulsion qui entraînait le reste. C'était inscrit dans ses muscles. Mais c'était bête, toute cette énergie gâchée.

La gêne fut oubliée, jetée au loin comme un linge sale.

Iels rentrèrent dans le salon
à la grande baie vitrée au fond
abat-jour des derniers rayons du soir.
La mère d'Emma leur proposa trois fois à manger et à boire.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant