58 • MANUELA • de la mer

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Toute sa vie, Manuela avait joué des rôles. Jouer des rôles, finalement, ça permettait de se mentir à soi-même. Ça permettait d'éviter d'affronter qui elle était vraiment. C'était plus facile, comme cela. Il y avait des jours comme ça, où elle voudrait mentir encore.

En vérité, Manuela était vulnérable. Sensible. Encore loin de s'aimer. Incapable de choisir sa vie parmi toutes les possibilités. En vérité, Manuela avait peur. Elle jouait des rôles pour éviter de confronter le passé et l'avenir. Pour éviter de se rendre compte qu'elle n'avait aucune idée de qui elle était encore. On était pourtant censé∙es être quelqu'un, non, à dix-huit ans ?

Pourtant, au cours des derniers mois, son angoisse s'était estompée. Elle avait lâché la main de beaucoup de choses pour serrer plus fort ce qui lui importait le plus. À vrai dire, elle savait à présent qu'elle se ferait toujours des ami∙es. Elle était à l'aise socialement comme Léo le lui avait montré, elle ne serait jamais vraiment seule. Tant pis si elle arrêtait de faire tous les efforts pour maintenir une relation. Elle trouverait d'autres gens qui s'impliqueraient autant qu'elle. Manuela ne l'admettrait peut-être pas mais Axell avait raison, quand iel disait que changer en valait la peine, que découvrir quelles personnes resteraient était toujours surprenant. Que c'étaient celles qui valaient le plus la peine. Elle avait perdu tellement mais elle avait gagné beaucoup plus.

Elle verrait bien combien de temps ça tiendrait.

Samuel ne l'avait pas pris aussi mal qu'elle ne l'aurait cru, quand elle lui avait parlé. Bien sûr, il avait quand même boudé, laissé pointer sa jalousie et son désœuvrement. Après, il avait cédé à l'excitation et aux recommandations (presque des ordres). Léopoldine avait pleuré, mais elle semblait en paix. Amélie l'avait engueulée et les autres du groupe lui avaient laissé des têtes incrédules mémorables. En fait, il n'y avait à peu près qu'Axell qui ne savait pas, parce que Manu était incapable de le lui dire. Il fallait pourtant qu'elle se décide, sinon iel allait l'apprendre de la bouche d'un∙e autre.

« Chaussettes et trompettes, Manu, il faut trop que je te montre ! C'est incroyable, je découvre plein de musiques et j'ai tellement d'idées pour les chorées, j'ai l'impression que ma tête va exploser. Celle-ci c'est un peu un mix de classique et de contemporain, Sasha serait outré. Je vais essayer de te montrer dans le jardin.

-T'as raison, allons dans le jardin, il y a trop de soleil pour rester enfermé∙es.

-Enfin, il reste encore de très bonnes raisons de s'enfermer. » remarqua Axell en se retournant près de la porte.

Manuela sourit, complice, avant de rajouter :

« Enfin, j'espère que le soleil va pas disparaître parce que demain on part trois jours à la mer.

-Quoi, tu m'abandonnes encore ? s'offusqua Axell.

-Non, tête d'artichaut, on va à la mer, toi et moi.

-Hein ? »

Manuela savourait toujours la vue des engrenages qui tournaient dans le cerveau de son partenaire.

« Ma tante a accepté de me prêter l'appart. Parce que je suis responsable. Mais attention ! s'exclama Manu d'une voix chevrotante et sévère. Tu peux amener une seule personne ! Et pas de garçon.

-NOM D'UN CORNICHON, t'es sérieuse là ? hurla Axell un peu trop fort en se jetant dans ses bras. J'ai jamais été aussi ravi∙e de pas être un mec.

-Trois jours.

-Trois jours juste pour nous deux.

-Et une mer. égrena Manu.

QU'ART'ZOù les histoires vivent. Découvrez maintenant