La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuit

PROLOGUE

Ilestelwen rêvait. Debout face à cette foule silencieuse, elle ne voyait ni flamme, ni obscurité, mais c'était bien son enfer qui se tenait là.

Elle avait toujours eu peur. De dormir, de mourir, d'être abandonnée. Mais sa plus grande peur était de se faire rattraper par ce passé dont chaque visage clamait le nom et qu'elle cherchait à tout prix à faire disparaître. Elle savait que tôt ou tard ce moment viendrait, c'était peut-être ça le pire ...

Depuis des décennies, elle fuyait chaque instant qui pouvait lui rappeler cette vie à laquelle elle voulait échapper. S'endormir était une torture, elle savait que ses rêves seraient peuplés de souvenirs.

À cet instant, ils la regardaient tous. Mahtan, Fingon, Morëndil, Mistrid, Aeglos, Elenwë, Ella. Et tant d'autres, des inconnus dont elle ne savait rien si ce n'est la haine qu'ils avaient pour elle. C'était une foule silencieuse, ils la regardaient étrangement. Elwen avait bien essayé maintes fois de déchiffrer leurs regards mais elle s'était vite avouée vaincue. Leurs yeux reflétaient la colère, la souffrance, la tristesse de ne pas avoir pu vivre plus, mais surtout, des reproches. C'était comme regarder un horrible tableau de chasse.

À perte de vue s'étalait une foule de personnes qui se tenaient face à elle. Les premières fois, elle avait pleuré. Le simple fait de revoir tous ces visages perdus à jamais était une souffrance insupportable. À cet instant, elle était seule face à ce passé. Perdue dans les cauchemars d'une vie antérieure et qu'elle espérait révolue.

Depuis plusieurs siècles, la foule était restée silencieuse, seul le jugement de leurs yeux parlait pour eux et s'était déjà une torture d'y faire face. Mais cette fois ci, Elenwë s'avança le visage toujours fermé et planta ses yeux pâles dans ceux orageux d'Elwen. Celle-ci sentit grandir en elle l'urgence de lui hurler de se taire, de ne rien dire et de retourner dans la foule, de faire demi tour. Mais Elenwë ne reculait pas, elle avançait inexorablement vers elle.

« Tu m'avais fait une promesse Elwen. Encore une que tu n'as pas tenue, dit elle d'une voix blanche quand elle fut assez près.

- Si tu savais comme je me hais pour cela. Cela aurait dû être moi, murmura Elwen, la voix tremblante. Cela faisait des années qu'elle aurait voulu lui dire ces paroles mais à présent, cela sonnait comme faux.

- Personne n'a jamais choisi de croiser ton chemin, Hélios encore moins. »

Elwen fronça les sourcils. Voilà un nom qui n'avait jamais été prononcé mais qui avait cette familiarité si douce et cruelle, c'était si étrange ... 

« Je suis désolée. Si c'était à refaire, je ferais en sorte que cela soit différent. Vous méritiez de vivre.

- Nous n'avons que faire de tes excuses ! Hurla Elenwë, ses cheveux blanc s'envolant au dessus de sa tête. Tu es la personne la plus mauvaise que nous n'ayons jamais rencontrée ! Et à présent, je demande aux Valar ce qui les a poussés à te laisser encore en vie après tout ce que tu as fait ! »

Elwen resta sans voix, elle releva lentement la tête vers la jeune femme.

« J'aurai préféré mourir plutôt que de vous faire ça ! Cria t-elle en se tournant vers la foule toujours silencieuse. Mais cela ne changerait rien ... Vous êtes morts, et c'est de ma faute. »

Sa voix se brisa alors qu'elle tentait de retenir ses sanglots qui ne demandaient qu'à sortir depuis des années maintenant.

« Ne pleure pas, cracha Elenwë en s'avançant vivement d'elle. Tu n'en a pas le droit, tu te dois de souffrir sans verser de larme. Tu te souviens de ce que je t'avais dit ce jour là ? Le jour de ma mort ? « Si jamais tu le perds, si jamais il meurt, je te promets, Ilestelwen, fille de Fingon, que à jamais je te hanterais. Plus jamais tu ne pourras t'endormir sans revoir mon visage ou entendre mes cris. Mais tu sais ce qui sera le pire ? C'est que au fond de toi, tu sauras que c'est de ta faute, et seulement de la tienne. » C'est chose faite. Tu l'as perdu Elwen. Et avec lui je m'étais promis de te faire tomber. Tu as tué les êtres que j'aimais plus que tout et même lui, lui qui avait survécu à la fureur des hommes que tu as amenés jusqu'à nous, même mon petit survivant, mon amour, même lui tu l'as perdu. »

Elenwë pleurait. Ses mots étaient chargés de larmes. C'était une peine inconsolable, celle d'une mère perdant son enfant.

Elwen avait toujours vécu avec ce sentiment de savoir que l'unique coupable, c'était elle. Mais à cet instant, elle faisait face à des mots qu'elle ne comprenait pas encore et cela réveillait une douleur prête à la détruire. C'était la souffrance d'une mère, une souffrance immense que personne ne pouvait comprendre. Même si les paroles d'Elenwë semblaient aussi floues que ses souvenirs, Ilestelwen savait qu'elle était responsable de cette douleur qui dansait dans les yeux de sa soeur. Quelle horrible pensée, quelle atroce idée ... Mais Ilestelwen était horrible et atroce. Elle se haïssait, elle voulait se faire du mal, elle pensait même parfois à la mort même si c'était trop facile.

Elle se tenait devant une foule d'hommes, de femmes, d'enfants dont chacun était mort par sa faute.

Son enfer était peuplé de victimes. Son enfer était derrière ses paupières, dans chaque pensée, dans chaque instant.