Chapitre 19 : Le fils perdu

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Elwen lisait et relisait encore ces mots. Mais aucune phrase n'avait de sens. Que faisait son nom dans ce carnet à l'écriture d'enfant ?

Je suis Halda et les ténèbres m'emporteront comme ils ont emporté Ilestelwen, fille de feu, fille sans espoir, elfe abandonnée des Valar et de la faveur des astres.

Cette unique et dernière phrase fit naître en elle un courant glacé. Elle ferma les yeux, tentant d'éclaircir son esprit embrouillé. Elwen était assise dans la pénombre des souterrains, le vent faisant silencieusement remuer les pages du cahier.

Les ténèbres m'emporteront comme ils ont emporté Ilestelwen, fille de feu, fille sans espoir, elfe abandonnée des Valar et de la faveur des astres.

Il n'y avait aucun doute, la jeune fille dont parlait Halda dans tout son carnet n'était autre qu'elle, Elwen, fille de feu, fille sans espoir, elfe abandonnée des Valar et de la faveur des astres.

Mais cela ne pouvait être vrai. Ces mots que les âges avaient tenté d'effacer ne pouvaient se tenir ici, entre ses mains. Les doigts tremblants, Elwen sentit à peine le carnet glisser et tomber à terre. Une irrésistible envie de pleurer lui noua la gorge. Durant toutes ses années, elle avait grandi à quelques mètres d'une personne qui se rêvait son amie. Pas une fois son regard n'était tombé sur elle. Mais dans l'ombre, Halda, jeune fille solitaire, l'observait, la guettait et priait les Valar pour que Ilestelwen pose les yeux sur elle.

Son souhait n'avait jamais été exaucé.

Une vague de regrets s'empara d'elle inexplicablement. Mais plus de mille cinq cents ans s'étaient écoulés depuis que l'enfant invisible avait écrit ses mots. Halda était peut-être morte depuis des centaines d'années et peut-être avait elle pensé longuement à cette elfe morte, emportée par les flammes sans qu'elle ne lui ait parlé.

Mais les Valar avaient été cléments, les mots d'enfant qu'elle aurait voulu crier avaient été finalement entendus ... Elwen tenait aujourd'hui la requête silencieuse d' Halda, une prière murmurée par quelqu'un qui l'avait aimée d'un amour pur et libre d'accusations et de colère.

Halda avait été la seule à l'aimer sans la connaître. Elle avait été la seule à ne pas connaître la mort causée par celle qu'elle aimait profondément.

Une Invisible en aimant une autre. D'un lien invisible et silencieux qui était tombé dans l'oubli.

Halda avait vécu au rythme d'Ilestelwen. Des milliers d'années plus tard, Ilestelwen avait ouvert son carnet pour vivre des mois parallèles à ceux d'Halda.

Mais aucune n'avait jamais su que l'autre respirait à l'unisson des ses jours. Un fantôme cherchant l'autre.

Elwen se souvint brusquement. Elle ne voulait pas voir ce flot d'images qui ressortait d'elle, la submergeant toute entière.

Elle revoyait l'immense manoir dans lequel elle avait travaillé durant des années. Elle y avait trouvé refuge, fuyant un père qui était devenu un monstre. Elle revoyait les flammes rongeant le beau et grand manoir, les cadavres noircis et les colonnes de fumée noire.

Elle se souvenait de sa main jetant une chandelle sur un tas de vêtements dans la chambre du jeune maître. Il était là, juste derrière elle, l'observant de son œil perfide, guettant chacun de ses gestes. Elle revoyait la lourde chandelle de fer sur la cheminée éteinte, elle sentait encore la tension dans son corps, la peur d'échouer.

Mais elle ne pouvait faire autrement. Elle voyait dans les yeux du jeune homme que ce n'était qu'une question de jour avant qu'on ne la retrouve couchée de force dans ses draps, jeune fille de treize ans un peu plus belle que les autres humaines.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant