Chapitre 50 : Le jour des larmes

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Et puis, il y eut bien un moment où tout vola en éclats.

Elorna se rendit par hasard au port un soir. Les pêcheurs rentraient alors et les acclamations attirèrent son regard. Son sang se glaça lorsqu'elle aperçut l'éclat de feu de la chevelure de ce mousse perché en haut du mat, habillé d'une large chemise et d'un pantalon rapiécé et dont le visage était orné d'un grand sourire. Il saluait les applaudissements en faisant la révérence de manière grotesque.

Elorna aurait pu crier, fondre sur sa fille dans une colère noire et la traîner jusqu'à la maison, rouge de colère et essoufflée de tant d'injures. Elle aurait pu la gifler, la traiter de tous les noms, courir vers le port pour y accueillir sa fille.

Mais elle ne fit rien de cela.

Elorna observa simplement la scène de loin. Son regard ne quitta pas un instant cette petite flamme qui était née de ses entrailles se pavaner, rire avec les marins et envoyer des baisers vers les hommes à terre. C'était sa petite fille, son bébé, qui se tenait là-haut, acclamée par des dizaines d'hommes. Elle pouvait sentir son euphorie dans la frénésie de ses gestes, dans les coups d'oeil qu'elle jetait à l'équipage en bas.

Mais qui était cette fille qui était censée être la sienne ?

Invisible parmi les femmes qui s'étaient arrêtées pour regarder cette jeune fille un peu trop joyeuse, Elorna n'osait pas bouger, pétrifiée par une étrange pensée. Sa fille était devenue une étrangère.

Et c'était de sa faute, à elle, celle qui n'avait pas su être là. C'était sa plus grande victoire mais aussi son immense échec.

Elle avait donné la vie à un enfant sans perdre la sienne. Mais cette enfant lui avait échappé à jamais. Un bébé qui ne l'avait jamais appelée « Mama », qui n'était jamais venu se confier à sa maman, qui la fuyait depuis toujours.

Penya salua une dernière fois son public et tout le monde se dispersa rapidement. Elorna ne pleurait pas et demeurait simplement dans l'ombre d'une ruelle. Elle posait son regard changé sur sa fille, elle avait l'impression de découvrir une nouvelle personne, quelqu'un de mille fois plus fabuleux qu'elle n'aurait pu l'imaginer.

C'était donc ça son supplice ? Devoir s'émerveiller d'une fille qui ne l'aimerait plus jamais.

Quelle triste scène ... Une mère observant sans être vue son enfant perdue qu'elle aurait dû avoir sous les yeux chaque jour de sa vie, comme si elle voyait enfin ce qu'elle aurait dû voir il y a treize ans.

Elorna n'avait pas été capable de voir en sa fille ce qui lui brûlait les yeux aujourd'hui. Penya avait mérité d'être aimée et chérie et elle l'avait repoussée, ne voyant que le crime de son père en cette petite fille.

Elorna avait fait une terrible erreur qu'elle payerait chaque jours de son existence et ce jusqu'à la fin de sa vie. Penya y serait aveugle à jamais, trop obnubilée par cet amour dont n'avait pas fait preuve celle qui lui avait donné la vie.

La jeune fille ramassa une fleur et l'accrocha dans ses longs cheveux roux. Le soleil se posa sur sa chevelure, l'illuminant en un instant. C'était une fée de l'océan, contemplant son œuvre, s'émerveillant de l'écume et des embruns.

Ses cheveux de feu complétaient le bleu de l'eau et l'oranger du ciel. Elle était coiffée à l'elfique, de fines tresses venaient enserrer ses cheveux regroupés en une longue natte.

Elorna pouvait voir en chaque détail l'oeuvre de son amie. Cette coiffure, ces habits, cette manière de se tenir debout les pieds légèrement obliques, les sourcils froncés pour observer quelque chose, tout Elwen se retrouvait en cette jeune fille.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant