Chapitre 17 : Elorna, fille de feu

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Italique : histoire passée/elfique

Normal : récit/Westron

***

Elle est étrange ces temps ci. Comme si un voile était tombé sur elle, atténuant à peine ses sourires.

Mais je le vois. Je vois ce voile qui masque le coin de ses yeux, qui estompe l'étincelle de ses prunelles. Les autres garçons l'ont frappée, je les ai entendus. L'homme qui l'accompagne aussi. Pourtant, il n'a rien fait. Il voit les marques sur ses bras, les traces de coups sur ses côtes mais il se tait.

Le travail la ronge, elle s'éteint jour après jour. Elle se lève bien avant moi, l'aube ne l'accompagne plus. Lorsque j'entends ses pas dans les couloirs, il est si tard que plus aucun autre bruit ne vient rompre le silence de la maison.

Cela va faire cinq ans qu'elle travaille ici, pourtant, j'ignore jusqu'à son nom. Personne ne la voit, elle est un fantôme, une Invisible. Si les regards s'accrochaient à elle à son arrivée, ils l'ont laissée retomber dans l'oubli. Elle me rejoint dans les abysses du néant.

Je ne sais pas ce qu'il se passe le soir. Personne ne le sait. Mais un grand silence descend sur le manoir. Ses rires ne résonnent plus, les jumeaux d'Ella ne jouent plus, ils se cachent dans leur chambre et n'en ressortent que lorsque leur mère vient les y rejoindre.

Aeglos, l'enfant aux yeux vides, chouinent dans son coin et sa sœur l'enveloppe de ses bras, formant autour d'eux un amas de cheveux blancs comme neige. La couleur n'est jamais apparue, leur mère a pourtant prié les Valar chaque nuit depuis leur naissance. Mais les yeux si pâles des jumeaux ainsi que leurs cheveux n'ont jamais changé d'aspects.

Aeglos ne nous voit pas. Ses yeux sont aveugles, ils passent sur moi sans s'arrêter. Ses orbes d'un bleu presque blanc semblent constamment vides, ils reflètent le ciel. Oui, c'est ça. Aeglos, l'enfant aux yeux engloutissant le ciel. Il avale les nuages et ses yeux vitreux portent sur le monde un regard vide.

Sa sœur est étrange elle aussi. Elle est très douce, on a presque l'impression qu'elle pourrait la briser d'une parole. Elle est fragile, délicate, sa présence semble éphémère.

Et ils sont là, l'enfant aux yeux vides tenant par la main une poupée de verre qu'une simple brise ferait voler en éclats.

Quelqu'un interrompu sa lecture en donnant un coup dans le livre. Elwen releva les yeux et trouva un homme devant elle, Grig si elle se souvenait bien. Il était un des dizaines de larbins que comptait Norn. Et elle en faisait partie.

Il l'avait brisée. Norn avait fait de l'elleth un être de douleur. Il avait ravagé son esprit comme jamais elle ne l'aurait cru possible. À cet instant, elle pouvait encore sentir cette douleur qui battait ses côtes, un feu lui brûlait les entrailles. Son regard était vide, plus aucune expression ne venait se glisser sur son visage et Elwen sentait au fond d'elle même qu'elle était en train de fondre. Elle sortait de son corps, s'échappant.

Norn avait fait d'elle son esclave. Tuant pour lui. Volant pour lui. Plus aucun de ses crimes ne l'atteignaient. Elle n'était plus qu'une coquille vide, son âme s'écoulant d'elle sans bruit. Parce que chaque nuit, les cris d'Elenwë la réveillaient en sursaut, parce que personne n'était là pour lui dire que ça allait s'arranger.

Les autres étaient pareil à elle, on ne voyait déambuler que des fantômes dans les galeries du repaire de Norn, des êtres vides de vie, errant sans but dans le noir. Elwen passait ses périodes d'accalmie à lire sans relâche. Parcourir les lignes d'Halda l'empêchait de penser, d'entendre résonner en elle la souffrance qu'elle avait partout répandue à son passage.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant