Chapitre 47 : Le supplice des mères

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(titre des plus joyeux n'est-ce pas 😅)


Les semaines et les mois passèrent. Penya, qui s'était éloignée de sa mère pendant la grossesse pour venir trouver les bras de l'elfe, revint doucement à la maison. Ce petit être dont elle aurait pu être si jalouse la subjuguait. Il était si différent et si semblable à elle qu'elle ne se lassait pas de l'observer.

Au début, Elorna avait voulu l'empêcher de toujours être à ses côtés, veillant sur ce frère comme une seconde petite mère. Mais avec le temps, la jeune femme n'avait plus eu le coeur à chasser Penya. Pourquoi l'aurait-elle fait d'ailleurs ? Elle avait tremblé de crainte à l'idée que Penya ne se sente rejetée et voilà que cet enfant soudait leur lien d'une force irréelle. C'était trop beau pour être vrai.

Elwen regardait de loin celle qu'elle considérait comme sa fille fuir loin d'elle. Elle ne pouvait rien dire, rien reprocher à Penya, si bien que son coeur saignait dans le plus profond silence. Penya ne dormait plus chez elle depuis quatre mois, préférant la chaleur d'un frère à celle d'une elfe, lorsque se produisit le premier incident.

Elwen rentrait alors de sa journée de travail, plus exténuée que jamais, quand un pressentiment étrange la traversa. Sans raison, elle s'élança vers le port. Là, au bas de la colline qui surplombait le village, les clameurs d'un attroupement résonnaient. L'elfe sentit son coeur s'emballer et courut plus vite encore vers la source des bruits.

Une vingtaine de personnes se tenaient devant un petit corps porté par un marin. Elwen sentit son sang se glacer, une nappe d'eau gelée sembla lui couler dans le ventre. Son coeur battait douloureusement contre ses côtes. Comme au ralenti, elle écarta les villageois, passant entre eux sans même les voir. Sa vision se brouilla lorsque les mèches couleur feu entrèrent dans son champ de vision.

Penya gisait là. Mais Elwen ne voulait pas y croire. Son coeur s'était arrêté, ses pensées aussi. Le monde autour d'elle disparut et la plus vive douleur qu'elle ait jamais ressentie se répandit dans tout son corps.

Là, sur les grossiers pavés du port, se tenait une petite fille, un peu trop maigre, un peu trop pâle, un peu trop rousse. L'enfant était enveloppée d'une robe verte trempée, des gouttes d'eau perlait sur son front et glissait sur ses cils baissés.

Elwen sentit ses genoux céder. Une voix en elle hurlait à l'agonie mais aucune ne brisait le silence du monde. Elle ne voulait pas y croire. Cette enfant ne pouvait pas être Penya. Ce n'était pas possible, ce n'était pas possible.

Le marin qui soutenait Penya parlait lentement, l'elfe n'entendait rien. Comme si s'en était trop de ce monde et qu'une partie d'elle avait simplement voulu le mettre en sourdine pour atténuer cette souffrance déchirante.

Une part d'elle s'envola ce jour-là. Son âme se déchira dans un silence glaçant, sans larme, sans cri, sans prière ni cantiques.

Mais l'agonie de cette mère sans enfant fut brutalement stoppée par un léger mouvement. Elwen eut un sursaut. En réalité, c'est toute son âme qui sursauta. Le monde retrouva subitement sa consistance lorsque le mouvement se répéta.

La poitrine de Penya se soulevait faiblement.

Le brouhaha du quai retentit autour d'Elwen qui demeura hébétée pendant quelques instants. Le marin la regardait, semblant attendre une réponse.

- J'ai trouvé cette petite dans la baie ce matin alors que je rentrais de la pêche. Elle flottait inconsciente dans l'eau alors je suis allé la secourir, répéta-t-il en voyant l'air ahuri de l'elfe.

Elwen ne comprit pas ce qu'il se passa. Elle vit simplement le visage du marin se décomposer. Elle sentit ses joues devenir humides et elle écarquilla les yeux en réalisant qu'elle était en train de pleurer à chaudes larmes. L'homme s'approcha d'elle et posa sa main sur son épaule, un air doux sur le visage.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant