Chapitre 45 : Vide

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Le printemps apporta avec lui un peu d'espoir. Elorna recommença doucement à sortir dans le bois, évitant soigneusement le sentier qui menait à la maison des Soins et celui de la falaise.

Deux ans passèrent, le temps avait apaisé les blessures et la peine mais Elorna ne fut plus jamais la même. Son sourire avait toujours quelque chose de mélancolique, ses yeux cachaient une abîme bien plus profonde qu'elle ne le laissait voir.

En vérité, elle savait que jamais elle n'oublierait le fils qu'elle avait porté pendant six mois, gonflée d'angoisse et rongée de peur. Elle avait perdu cette chance à cause de ses démons et une colère froide grondait à présent en elle.

Pendant de longs mois, elle avait pensé à la falaise où était enterré son fils. Elle était retournée plusieurs fois sur la tombe de son ange pour lui murmurer des paroles qu'il était le seul à entendre. Et lorsque elle se relevait, elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'oeil au vide qui se tenait là.

Elle avait tout essayé pour tenter d'échapper aux cauchemars, aux monstres qui la hantaient. Rien n'avait fonctionné. Elle n'en pouvait plus de voir apparaître devant ses yeux le visage distordu de l'homme qui avait détruit sa vie. Le soir, tard dans la nuit, elle entendait encore sa respiration et ses halètements. Cela lui donnait envie de vomir.

La mort. Voilà ce qu'elle avait trouvé comme solution. L'abîme sous les rochers qui entouraient son ange était si attirante. Pendant des mois, elle avait minutieusement planifié sa chute. Emaël voyait que quelque chose n'allait pas mais, malgré tous ses efforts, Elorna refusait de se confier à lui. Il l'avait surprise un jour, penchée en avant en haut de la falaise. Il avait soudain été terrifié à l'idée qu'elle ne décide de s'envoler pour rejoindre les cieux qui abritait désormais leur ange.

Certains jours, Elorna avait tant envie de tout arrêter qu'elle restait couchée toute la journée. Elle ne dormait pas. Penya passait tout son temps chez Elwen. Elle ne voyait presque plus sa fille.

Une nuit, une irrésistible envie de sortir la poussa à prendre le chemin qui menait à la falaise. Dans sa longue chemise de nuit blanche, on aurait dit un spectre. Tout au long de sa marche, elle pria les Valar pour que quelqu'un l'arrête. Elle pria pour voir surgir Elwen. Elle pria pour que celle-ci la sauve comme elle l'avait promis il y a des années de cela.

Mais l'elfe n'apparut jamais. Elorna arriva en haut de la falaise, regarda le vide en dessous d'elle, pensa à son enfant qui l'attendait, à Penya qui ne voulait plus la voir. Elle avait si peur de la chute, si peur de regretter son geste à la seconde où elle le ferait.

- «Ce n'est pas la chute qui tue, c'est l'atterrissage.» susurra une voix dans son esprit.

Elorna étouffa un sanglot, se cachant le visage dans les mains. En relevant la tête, elle vit les vagues tout en bas, elle sentit le vent glacial sur ses bras, les embruns ébouriffant ses cheveux. Elle n'était pas prête à quitter ce monde mais elle était à un pas de le faire.

Une autre petite voix dans sa tête lui souffla que si elle attendait encore un peu, peut-être que quelqu'un viendrait la chercher pour la ramener à la cabane. Mais elle savait que c'était faux.

Elle regarda ses mains abîmées par le travail. Elle eut soudain l'impression de sentir le souffle de Greador sur sa nuque et ferma les poings. Une certitude surgit alors subitement dans son esprit. Une conviction.

Greador lui avait déjà tant pris, il ne prendrait pas sa vie. Il avait peut-être emporté avec lui un fils, une innocence et sa joie de vivre, mais il n'arracherait pas une chose de plus à la petite servante qu'il avait jugé trop faible pour se défendre.

La fille qui n'avait plus d'espoir | Tome 1 : Celle qui fuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant