Chapitre 19 - L'ignorance cruelle

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Ce jour-là, Augustine ne put jamais approcher Maël. Chaque fois qu'elle effectuait une tentative, il y avait un cercle impénétrable autour de lui. Des personnes le harcelaient sans cesse de questions. Elle ne comprenait pas cette fascination pour son ami et son aventure à l'hôpital. Il n'avait pas l'air de beaucoup s'étendre sur le sujet et les rumeurs du collège ne disaient rien de plus que ce qu'elle savait déjà : intoxication due à un champignon vénéneux. Il ne semblait pas avoir impliqué Augustine dans cette histoire, pourtant, à mesure que la journée défilait, elle recevait de plus en plus de regards étranges. Certains élèves chuchotaient même sur son passage. Que devait-elle faire pour attirer l'attention de celui qu'elle considérait toujours comme son meilleur ami ?

Cette nuit-là, elle ne dormit pas. Elle passa la moitié de son temps à réfléchir à un plan pour approcher Maël, sans succès. Chaque ébauche lui paraissait inutile. Il arrivait juste à l'heure le matin et rentrait dès que la cloche sonnait. On aurait dit qu'il s'arrangeait pour sortir le premier du dernier cours tous les jours. Le midi, il mangeait avec quiconque le voulait et comme son séjour à l'hôpital le rendait populaire, il en profitait. L'autre moitié de sa nuit, comme le sommeil la fuyait de la même façon que Maël, Augustine décida de réviser une fois de plus ses leçons de mathématiques dans l'espoir de réussir son interrogation de rattrapage du lendemain, ce qu'elle fit avec brio, à sa grande surprise. Peut-être que ses quelques heures de travail payaient après tout et que sa mémoire s'améliorait. Ne disait-on pas que la mémoire s'entretenait et se travaillait ? Peu importait finalement. L'essentiel était qu'elle avait prouvé à son professeur préféré qu'elle ne mentait pas, elle n'avait pas triché, ce qu'elle se fit un malin plaisir de dire à Yannick, dès le lendemain matin. Le délégué ne cacha pas sa déception. Il ne supportait pas qu'une fille, aussi impertinente et aussi peu studieuse qu'elle, pût être meilleure que lui en mathématiques. La colle qu'il reçut pour son mensonge et la remise en question de son statut de délégué n'arrangèrent pas les choses pour la brunette. Il la prit en grippe définitivement et ne cessait de la rendre coupable de tout ce qui n'allait pas dans sa propre vie.

À partir de ce moment-là, une épaisse brume recouvrit Paimpéran et ses alentours, créant une atmosphère lourde et pesante. Plus encore que la pluie du mois de novembre, le brouillard donnait un aspect étrange à la forêt qui bordait la demeure des Baudelaire, elle devenait mystérieuse, davantage qu'à l'accoutumée, inquiétante même.

Augustine s'efforça de patienter jusqu'au vendredi après-midi, pour confronter Maël. Ils n'avaient pas cours le lendemain, elle était convaincue qu'il traînerait un peu avant de rentrer, au moins cinq petites minutes, en tout cas, elle l'espérait. Lorsque la cloche les libéra de leur dernière heure de cours, la brunette monta une embuscade à la sortie de la salle. Elle se dépêcha de ranger ses affaires dans sa besace et s'échappa du cours en premier pour patienter sur les marches des escaliers menant au parvis du collège. Il lui donnait de plus en plus l'impression de l'éviter, il allait devoir s'expliquer. Lorsque Maël passa enfin les grandes portes de l'entrée du collège, il était seul et paraissait pressé. Augustine supposa qu'au loin, dans la brume, une voiture l'attendait, peut-être sur le parking approprié. Dès qu'il passa devant elle, elle lui attrapa le bras.

- Ben alors frangin, tu m'évites ? taquina-t-elle.

D'un mouvement brusque, Maël se libéra et la foudroya du regard sans prononcer un seul mot. Ils restèrent ainsi quelques secondes. La dureté des yeux de son ami brisa le cœur de la jeune fille. Maël ouvrit la bouche, comme s'il allait parler, mais, lorsqu'il sursauta à un coup de klaxon insistant, il la referma aussitôt avant de descendre les escaliers quatre à quatre. Augustine se plaqua contre le mur humide, secouée par ce qu'il venait de se passer. Maël n'obéissait pas simplement à ses parents, il lui en voulait personnellement, elle en était convaincue à présent. Il lui faudrait probablement beaucoup de temps pour pardonner à Augustine d'avoir essayé de l'empoisonner. Elle savait que ce n'était pas réellement ce qui était arrivé dans la forêt, mais ses souvenirs troubles ne lui permettaient pas d'être sûre à cent pour cent de ne pas avoir volontairement donné un champignon vénéneux à manger à son ami. Non, elle n'en savait rien.
Tête baissée et perdue dans ses tristes pensées, Augustine rejoignit l'arrêt de son bus déjà plein à craquer. Une fois à l'intérieur, elle se tint comme elle le put jusqu'à ce que le véhicule se vidât et s'installa sur une place libre, quand elle en trouva une. À travers les fenêtres embuées, elle distinguait à peine les bords des trottoirs. Le bus ralentit de plus en plus jusqu'à rouler au pas. Si elle ne voyait pas à travers ce brouillard, le chauffeur ne devait pas mieux s'en sortir. Elle ne savait pas par quel miracle ils avaient atteint le dernier arrêt, mais après ce qui lui avait semblé des heures, Augustine se retrouva devant la porte de chez elle, prête pour une longue soirée films au coin du feu en compagnie de sa mère.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant