Chapitre 43 - Le cauchemar épouvantable

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Augustine s'agitait. Elle ne comprenait pas bien ce qu'elle distinguait. Les deux gigantesques monstres qui la poursuivaient semblaient tout droit sortis d'un film d'horreur. Le mucus dégoulinait de leur peau gluante et se répandait partout, sur toutes les surfaces qu'ils effleuraient. Ils avaient envahi la ville quelques jours plus tôt et avaient l'air de chercher quelque chose. Il fouillait chaque maison, chaque local, chaque recoin de Paimpéran, comme jamais personne ne l'avait fouillée avant eux. Leur voix faisait encore vibrer le corps de la jeune fille. Quand ils s'étaient adressés à elle en tant que représentante du peuple humain, leur gueule avait béé encore plus que ce qu'elle aurait pu imaginer dans ses pires cauchemars. Une marre de bave l'avait aspergée elle et tout ce qui l'entourait, ce qui comprenait voitures, habitants de Paimpéran et son maire, maisons, magasins, bitume parkings, routes, espaces verts et arbres. Tout.

Ne comprenant pas leur langage, la collégienne avait rapidement fait l'objet d'une traque infernale, une poursuite endiablée qui avait commencé devant l'hôtel de ville et se terminait au milieu de l'étang. Elle pensait y avoir trouvé un refuge impénétrable, mais ces mollusques géants, à la surprise générale, savaient nager. Ils flottaient même. Alors, Augustine traversa l'étang à la nage jusqu'à la rive opposée. Là, une omelette pas très fraîche, mais appétissante, la fixait de son regard sans yeux.

- Tu vas encore me manger, fille du démon ! T'as donc pas de respect pour tes ancêtres !

Augustine, interloquée par ce tableau bien plus qu'étrange, se figea un instant, mais le bruit des remous causés par ses poursuivants la sortirent de sa torpeur. Elle fila à toute allure.

- Ouais, c'est ça, abandonne-moi ! T'as vraiment rien compris, fille du démon !

Un hurlement mit un terme aux insultes qui pleuvaient, littéralement du ciel, chaque lettre semblait plus énorme et déformée que sa voisine. Elle se retourna et aperçut les monstres venus d'ailleurs dévorer goulûment l'espèce d'omelette de trois mètres de diamètre en quelques secondes. Elle n'en crut pas ses yeux. Les grosses limaces semblaient adorer la proie qu'elle venait de trouver sur leur chemin. Stupéfaite, elle n'avançait plus et ne sentit pas la troisième limace qui s'était faufilée silencieusement derrière son dos et qui l'avala d'un seul bloc.

Augustine hurlait encore lorsqu'elle s'aperçut qu'elle venait de se réveiller en sursaut. Sa mère entra dans sa chambre en faisant claquer la porte contre le mur. De la sueur perlait sur le visage de sa fille. Sa crise d'angoisse dura de longues minutes pendant lesquelles Marissa prit le temps de la détendre en lui chuchotant des doux mots au creux de son oreille et en lui massant la nuque. Les cauchemars de sa fille s'intensifiaient, il était largement temps de filer de ce lieu maudit. Elle lui chantonna sa chanson favorite, celle de la biche et du beau chevalier et, peu à peu, la jeune fille s'apaisa.

- Raconte-moi si tu veux.
- Des trucs gluants attaquaient la ville à ma recherche et tu sais pas l'pire, ils voulaient m'dévorer. On aurait dit des limaces. Et moi, j'm'enfuyais en laissant un truc jaune tout aussi gluant à la merci des sortes de limaces alors qui m'disait de pas l'abandonner.
- Tu crois que c'était Maël le truc jaune tout gluant ? la taquina Marissa.

Le rire fluet de sa fille rassura légèrement la mère inquiète dont les muscles douloureux du dos signalaient beaucoup trop de stress à gérer dernièrement.

Marissa avait hâte de s'en aller, d'oublier tous ces drames et de commencer une nouvelle vie.

- Maman... J'me suis fait dévorer par une limace géante venue de l'espace... murmura-t-elle d'une voix endormie, c'est incroyable...
- Demain... Tout se terminera demain, chuchota-t-elle au creux de l'oreille de sa fille unique et Augustine se rendormit paisiblement.

***

Le lendemain, au lever du soleil, la famille Baudelaire quitta Paimpéran. Personne ne les accompagna jusqu'au panneau de sortie de la ville, personne ne leur fit une haie d'honneur, personne ne leur souhaita une joyeuse aventure. Un camion avait ramassé leurs cartons et avait filé vers la capitale et lorsqu'elles quittèrent leur maison, le cœur serré par la vie qu'elles laissaient derrière elle, il n'y restait plus que quelques meubles tristement vides qui serviraient aux futurs locataires.

Dans la voiture, Augustine serrait dans les bras un paquet qu'elle avait trouvé avant de partir. Emballé dans du papier kraft, il avait été déposé sur le perron par Maël. Une carte avait été glissée sous les liens. On y voyait un arbre majestueux, un chêne noueux au tronc creux qui lui rappela énormément celui avec lequel elle avait communiqué de l'Autre-Côté.

Duir...

Elle soupira. Elle la délogea délicatement. Au dos, tracés dans une écriture chaotique, quelques mots affectueux se gravèrent à jamais dans son cœur.

« Cadeau de rattrapage d'anniversaire. J'espère que le livre te plaira autant qu'il m'a plu. Et on pourra aller voir celui-là ensemble un jour.
À Paris, m'oublie pas frangine ! Écris-moi ! »

Dans l'angle droit, il était indiqué chêne à Guillotin, Le Vaubossard, Concoret (56) – Morbihan (France). Elle allait habiter à près de quatre cent kilomètres de là... Le voyage ne serait pas pour demain, mais avec un peu de chance, à Paris, il y avait tout un tas d'autres arbres extraordinaires à découvrir.

Assise à l'avant de la voiture, Augustine ne vit pas le coup d'œil furtif de sa mère. Elle connaissait très bien l'arbre que sa fille contemplait, il lui ravivait beaucoup de souvenirs. Elle soupira tellement fort qu'Augustine éclata de rire.

- Au lieu de te moquer, ouvre ton paquet.

Augustine dénoua la ficelle que Maël avait sans doute chipée dans l'atelier de son père et déballa son cadeau. Ses yeux s'arrondirent dès qu'elle découvrit le beau livre qu'il lui avait offert. Une version illustrée de La Vie secrète des arbres. Elle allait pouvoir se régaler pendant des heures. Elle serra plus fort encore le livre contre son cœur.

Le véhicule se noya peu à peu dans la brume en pénétrant dans la forêt mystérieuse. Elles longèrent longtemps le petit ruisseau sinueux qui bordait les bois, les clapotis de son eau murmuraient aux oiseaux des doux mots de renouveau en ce printemps naissant. Étrangement, quand elles sortirent de la forêt, le brouillard se leva subitement et dévoila une magnifique journée ensoleillée, signe de bons augures pour leur nouvelle vie. Augustine regarda disparaître les ramures bourgeonnantes des arbres par le pare-brise arrière. Avec un poids lourd dans le ventre, elle ne les lâcha pas du regard jusqu'à qu'ils s'échappassent de l'horizon.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant