Chapitre 1 - La cabane secrète

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Le bourg de Paimpéran était autant célèbre pour le glanage de ses glands, baies et châtaignes, tout aussi abondants que nutritifs, son concours de pêche à la silure, organisé chaque année par l'Amicale Laïque des Protecteurs de la Biodiversité des Étangs Paimpéranais, que pour ses bois impénétrables et sans horizon qui avaient multiplié les légendes mystérieuses qui se propageaient oralement au-delà des frontières du monde connu. La forêt avait su demeurer rurale, fière et imperturbable, tout en étant généreuse envers ceux qui la protégeaient. Ses habitants l'en remerciaient grassement en mettant à la porte sans modération tous les promoteurs immobiliers inconscients, nouveaux industriels et leurs start-ups éphémères, convoiteurs publics de ces lieux foisonnant de richesses. Des politiciens véreux et sans morale palabraient depuis des lustres sur la construction d'un nouvel aéroport qui relancerait miraculeusement l'économie du pays, tout cela sans réfléchir aux ravages potentiels qu'un tel chantier exercerait sur l'écosystème d'un petit village prospère, mais paisible. Ils connurent des heures pénibles, lorsqu'ils tentèrent de franchir les défenses établies par les paimpéranais. Ces remparts humains infranchissables préservaient le dernier portail avant la vie primaire et sauvage.

Chacun avait trouvé sa place au sein de cette petite communauté, de la mère de famille surchargée de tâches ménagères, mais qui s'occupe humblement de son foyer en trouvant le temps de combattre ardemment les braconniers dès qu'elle dispose d'une main libre, au vieux maraîcher débonnaire, un ancien combattant qui s'était reconverti en dompteur de légumes anciens, en particulier les tomates dont il cultivait plus de trente variétés différentes, quitte à jeter les malades ou les avariées à la figure de tous ses « crétins de la ville qui veulent raser sa ferme et une partie de la forêt pour y ériger un centre commercial sur quatre étages, au-dessus, mais aussi en-dessous du sol ». Un jour, Énora, une vieille mamie qui tricotait des chaussettes de laine pour que tous les habitants pussent avoir chaud aux pieds l'hiver, avait été surprise à dicter à son petit-fils, un marmot adorable, des harangues pugnaces destinées à avertir les gamins de bourgeois, venus des mégalopoles surchargées, que personne ne se laisserait convaincre par leur tas de billets crasseux ; car il est bien connu que la propreté de l'argent ne dépend que de ce que l'on en fait.

Vous l'aurez bien compris, Paimpéran vivait avec son cœur et savait se défendre contre n'importe qui et n'importe quoi, jusqu'à... Eh bien, jusqu'à cette fichue année où d'étranges phénomènes ont commencé à se produire...

L'automne tardif parait de couleurs chatoyantes, allant du jaune d'or au rouge de Garance, le feuillage encore touffu des arbres de la forêt qui cerclait la ville. Le soleil généreux refusait de laisser sa place aux nuages de pluie et les champignons peinaient à croître. Les petits mammifères, avant leur future hibernation, accumulaient les réserves de fruits secs pour l'hiver qui s'annonçait rude, paraissait-il, malgré la douceur qui perdurait.

Augustine Baudelaire adorait ce moment de l'année : les premières vacances, celles qui avaient parfois encore un air d'été, mais imprégnées des mystères excitants que les mois noirs, ces fameux miz du, revêtaient et, surtout, les joies de pouvoir participer pour la première fois de sa courte vie aux festivités de la Samain : concours de citrouilles lanternes, concours de la plus grosse cucurbitacée, dégustation de confitures de châtaignes et de tartes aux pommes, contes à faire frémir les parents, défilé de Halloween et, enfin, bal costumé. Mais pour le moment, elle n'y pensait pas. Vêtue d'un simple t-shirt rose, orné d'une princesse assise sur un trône bien particulier, et d'un mini-short noir qui dégageait ses longues jambes aux allures de ficelles, la grande perche s'activait à transporter des planches de bois d'une remorque remplie de matériel de construction jusqu'à un énorme tronc d'arbre ; enfin, elle les tirait sur le sol plus qu'elle ne les portait. L'heure d'une pause sonnerait dès que son ami Maël jugerait qu'elle était méritée. La sueur gouttait de son front, pourtant elle ne se décourageait pas, elle voulait finir rapidement la cabane pour pouvoir en profiter pleinement le reste des vacances.

Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieusesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant