Toutefois, à Paimpéran, après cette mystérieuse histoire d'enlèvements, il ne faisait plus tout à fait aussi bon vivre. Le bois, source de leurs bienfaits et des merveilles qui nourrissaient leur imaginaire, générait une angoisse sourde et profonde comme les forêts ancestrales dont les loups avalaient les enfants imprudents. Rares étaient les gens qui osaient encore y mettre les pieds, y compris Maël. Sans Augustine, les arbres n'avaient pas la même saveur. Pourtant, une timide silhouette rousse s'y faufilait régulièrement. Elle ne laissait ni trace ni empreinte et parcourait les bois comme s'ils étaient les siens. Elle sinuait entre les troncs séculaires et se mélangeait facilement aux branchages. Ses larges boucles tombaient sur son dos en cascade de feu. À l'automne, elle se confondait avec les frondaisons rougissantes, en hiver elle jouait avec les renards. Cette silhouette, tout le monde la côtoyait, sans véritablement la connaître. Cette silhouette, tout le monde l'aimait, sans bien savoir pourquoi. Mais cette silhouette renfermait surtout un sombre secret, celui d'un amour trahi. Celui d'une rancœur amère. Celui d'une vengeance inassouvie. Alors qu'elle sortait des bois millénaires au coucher du soleil, celle que l'on nommait Soazic à Paimpéran, rejoignit discrètement la maison qu'elle s'était elle-même bâtie, à partir de rien, plusieurs mois plutôt. Dans ses mains, elle jouait avec un petit objet en plastique, un taille-crayon qu'elle avait subtilisé à son amie Augustine, sans qu'elle s'en fût aperçue, plusieurs mois plus tôt. Elle s'était façonnée une jolie vie normale dans cette ville et ne comptait pas la quitter de si tôt. Elle ouvrit le réceptacle et scruta l'intérieur. Des rognures de crayons se teintaient de différentes poudres de couleurs et envahissaient l'espace clos. Sur l'un des morceaux de bois, de fines lignes rousses qui ressemblaient aux nervures d'une feuille s'entremêlaient ; la rouquine esquissa un large et sombre sourire avant de refermer le taille-crayon et de l'empocher.
- Désolée Physa, j'ai d'autres projets pour toi...
Elle jeta un regard vers les bois avant de murmurer au vent :
- Tu ne paies rien pour attendre...
L'éclat de rire qui ponctua sa menace se mêla aux fines gouttelettes de brume qui tombaient en même temps que la nuit. Unis, les mots et les rires s'envolèrent dans l'obscurité en virevoltant jusqu'aux portes de l'autre-monde. Une dernière fois ce soir-là, celle que l'on nommait Soazic, à Paimpéran, mais qui était connue sous bien d'autres noms dans d'autres comtés, parcourut les frondaisons des arbres séculaires, de nouveau abondantes ; les bois reprenaient doucement vie. Enfin, ils lui insufflaient une nouvelle vigueur dont elle pourrait user pour peaufiner les détails de son nouveau plan. Il faudrait désormais de nombreuses années avant que la si célèbre forêt de Paimpéran ne redevînt à nouveau un merveilleux lieu paisible d'espoir.
Au cœur des bois, là où deux troncs-jumeaux s'observaient éternellement, miroir l'un de l'autre, une enveloppe de fortune qui avait pris l'humidité et qui commençait à se confondre avec l'humus disparut soudainement. À sa place, une besace usée, une paire de chaussures, ainsi que deux chaussettes rose assorties, ornées d'une licorne pailletée, apparurent. Personne ne les y attendaient plus depuis plusieurs lustres. Abandonnées, livrées à la vie sauvage, elles durent peu à peu s'adapter. Le sac, après avoir été enfoui sous plusieurs feuilles de fougères devint le repaire de toute une famille de coléoptères, des lucanes cerfs-volants. Les chaussettes servirent de litière douillette à un couple d'écureuils roux qui en tapissèrent leur nid. Et les chaussures, de bonnes petites bottines noires, parfaites pour la randonnée, elles se remplirent peu à peu d'humus, deux châtaignes amoureuses trouvèrent refuge dans la droite et y invitèrent des fraisiers. La gauche, quant à elle, fut récupérée par un randonneur punk, un peu farfelu, qui l'utilisa comme pot, dans son petit appartement, pour y accueillir un pied de ciboulette, offert par une amie. Jamais Augustine ne sut ce que devint tous ces affaires qui pourtant lui appartenaient. La forêt donne, la forêt prend, mais en aucun cas elle ne vous décevra.
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Augustine Baudelaire - T.1 - Les disparitions mystérieuses
Fantasy🧙♂️watties fantasy 2020🧙♂️ Augustine Baudelaire, une jeune fille sans problème, voit sa vie bouleversée le jour où elle découvre ce qu'elle croit être une plante bizarre dans la forêt qui borde sa maison. Défiée par son ami Maël, elle croque un mo...